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Carmen, Chorégies d'Orange 2004, 31 July 2004
Une Carmen éprise de vie, Humanité, 2 August 2004
Alagna, Don José rayonnant dans une Espagne de chromo, Le Monde, 3 August 2004
Savary sous le charme de Carmen [excerpt], Res Musica, 1 August 2004
Carmen [excerpt], Forum Opera, August 2004
Images d'Epinal, Le Figaro, 2 August 2004
Merci, Carmen!, Le Nouvel Observateur, 5 August 2004
Une Carmen à la latinité bien française, Le Soir, 7 August 2004
«Carmen» à Orange comme si vous y étiez, Le Parisien, 7 August 2004
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Une Carmen éprise de vie
Philippe Gut, Humanité, 2 August 2004

L'Espagne vivante et passionnée est revisitée avec l'opéra de Bizet, monté par Jérôme Savary et son équipe dans le cadre magique du théâtre antique d'Orange.

À Düsseldorf, Savary avait déjà installé la nouvelle de Mérimée, livret de Meilhac et Halévy, les librettistes préférés d'Offenbach sous le Second Empire, au cour de la guerre civile espagnole de 1936, cela avait fort bien fonctionné. À Orange, c'est bien l'Espagne du XIXe siècle qui sert de cadre à la tragédie mise en musique par Bizet, sans pour autant que cette même guerre d'Espagne soit oubliée. Cette Espagne qui a fasciné les artistes français des XIXe et XXe siècles (rappelons-nous une récente exposition sur ce thème au musée d'Orsay) est ici ressuscitée. La scénographie de Savary est sobre mais évocatrice : trois portails monumentaux, ceux qui donnent accès aux arènes de Séville, s'insèrent dans le mur du théâtre antique et cernent le plateau, quelques canons, quelques barils (de poudre ou de vin), quelques chaises éparses, c'est tout. Le reste, ce sont les lumières d'Alain Poisson qui baignent de lueurs le plus souvent blafardes (ou d'un blanc cru) la scène où se noue le drame, accompagnées de discrètes projections évoquant les lieux de l'action.

Et il y a la mise en scène de Savary. Point de Grand Magic Circus ici. Ni d'animaux tristes. Mais toute une série de notations par le biais d'éléments significatifs comme ces blancs chevaux morts d'où s'échappent des vapeurs méphitiques, ils font penser à la bataille de Somosierra qui mit aux prises les chevau-légers polonais de Napoléon aux guerilleros espagnols, ou encore la fin tragique de Zuniga fusillé par les contrebandiers, tel le héros peint par Goya dans le Tres de Mayo, ou enfin la retraite de ces mêmes contrebandiers dans la sierra qui évoque les terribles combats de la guerre civile où s'affrontèrent franquistes et républicains. Pour peindre tout cela, il y a les magnifiques costumes - pas deux semblables - dessinés et réalisés par Michel Dussarrat, mêlant les couleurs avec un goût très sûr, et animés de mouvements divers (ballets de Laurence Roussarie intégrés avec beaucoup de naturel à l'action), à telle enseigne qu'on ne sait plus parfois où poser le regard. Mais, miraculeusement, on ne perd pas de vue le drame qui se joue, celui de Carmen qui clame haut et fort sa volonté de vivre et d'aimer librement les amants qu'elle s'est choisie. Ce qui fit scandale à la création, à l'Opéra-Comique, lieu de sociabilité de la bourgeoisie parisienne au XIXe siècle, où l'on présentait aux prétendants les jeunes filles à marier !

Carmen, c'est Béatrice Uria-Monzon pour la deuxième fois à Orange. Elle en est aujourd'hui la plus belle incarnation, voix chaude de mezzo, toute de sensualité sauvage et de fierté de femme libre. Roberto Alagna joue autant qu'il chante Don José avec une vérité surprenante, personnage dépassé par les événements, fasciné par cette femme fatale, et qui aurait dû épouser la blanche et pure Micaëla merveilleusement habitée par Norah Amsellem. Le baryton Ludovic Tézier campe le bellâtre Escamillo avec conviction et panache, sans vulgarité. Dans les épisodes plaisants qui émaillent discrètement cet opéra-comique, Catherine Dune (Frasquita), Karine Deshayes (Mercédès), Olivier Grand (le Dancaïre) ou Gilles Ragon (le Remendado) sont parfaitement en situation. Et parce qu'il n'y a pas de petit rôle dans le théâtre antique, l'excellente basse Nicolas Cavallier est Zuniga, Didier Henry, Moralès. Jean-Philippe Corre enfin donne vie avec brio à Lillas Pastia (rôle parlé). Travail admirable du maître Myung-Whun Chung à la tête du Philharmonique de Radio France qu'il dirige avec une grâce infinie, une gestuelle toute en nuances, exaltant cette partition si finement orchestrée. Il suit avec une attention de tous les instants protagonistes et choristes (on dirait même qu'il en est le metteur en scène), ces derniers admirablement coordonnés par Giulio Magnanini.


Alagna, Don José rayonnant dans une Espagne de chromo
Marie-Aude Roux, Le Monde, 3 August 2004

C'est un soir parfait pour écouter de la musique, un vrai soir de festival d'été, ciel sans tache et sans étoiles, vent léger venu de la plaine et la grande nuit antique des arènes d'Orange. C'est un soir pour Carmen.

Dans la hiérarchie du rôle-titre, Béatrice Uria-Monzon est une Carmencita en chef. Elle a chanté le rôle des dizaines de fois un peu partout, et à Orange en 1998, dans la mise en scène de Nicolas Joël. Elle est brune et belle, sexuelle et sauvage à souhait. Elle dit que l'amour est enfant de bohème, et c'est indubitable. Au point que la voix, bien timbrée et d'une émission naturellement placée, semble parfois sortir de ses gonds et de la ligne d'intonation. Heureusement, une fois conquis Don José, la belle saura dompter ce trop plein d'énergie et nous donner de très beaux moments mezza voce.

VIBRATO INTEMPESTIF

Le Don José de Roberto Alagna a atteint une rayonnante maturité tant vocale que psychologique. La voix est pleine, souple, la projection claire et facile, les aigus ronds et voluptueux, sans parler d'une diction parfaite, comme toujours. "La fleur que tu m'avais jetée" est un modèle, avec ce si bémol aigu de la fin qu'il ne fait plus pianissimo comme jadis, mais à pleine voix contenue, irradiant mais doucement solaire. On ne saurait lui imputer de légèrement détonner dans le premier duo avec Micaela ("Parle-moi de ma mère") : le vibrato intempestif de Norah Amsellem, rendant chaque note vibrionnante, a vraisemblablement gêné la justesse de son partenaire, comme il a contrarié la "romance" du dernier acte, bien chantée musicalement mais inécoutable dès que la tessiture monte.

UNE ESPAGNE DE PACOTILLE

On a beau se féliciter d'un casting quasiment 100 % français, force est de reconnaître que Ludovic Tézier n'est pas l'Escamillo qu'on espérait. Pourtant familier du rôle, le baryton manque de projection et de jactance et si "Un il noir te regarde", il ne fait pas peur. L'orchestre aurait mieux fait de ne pas l'encourager de ces quelques coups de corne, qui, pour être amicaux n'en couvrent pas moins systématiquement la voix durant les couplets du Toréador. Vivante et précise, brillante et contrastée, la direction de Myung-Whun Chung à la tête de son Orchestre philharmonique tire l'uvre vers le drame, usant (et abusant) de tempos souvent un peu lents dans les airs. Mais le chef coréen, ovationné, remportera un beau quitus de la part du public.

Pour le reste, on saluera la bonne tenue générale d'une distribution homogène, que ce soient les compagnes de route de Carmen, Catherine Dune (Frasquita) et Karine Deshayes (Mercédès) ou les compagnons d'armes de Don José - Nicolas Cavallier, Gilles Ragon, Olivier Grand, Didier Henry et Jean-Philippe Corre.

Servie par des churs qui bougent bien, la mise en scène de Jérôme Savary se laisse regarder. Scènes de genre d'une Espagne de pacotille en chromo (processions et corrida, acrobates et cracheurs de feu, danseurs de flamenco, combats et bagarres en taverne), beaux costumes gitanos (virant curieusement mexicains au dernier acte), grandes fresques lumineuses et chorégraphie basique (Ah, le ballet des toreros, petites fesses serrées dans la volte des capes !) s'adapteront sans doute parfaitement à la transmission télévisuelle prévue sur France 2, de même qu'au goût de la coproduction nippo-coréenne, qui découvrira cette Carmen en septembre, à Séoul (du 7 au 9) puis à Tokyo (du 18 au 20). On s'étonnera à peine de quelques tableaux napoléoniens, notamment à l'"acte des Gitans" dans la montagne, une retraite de Russie de quelque grognard se réchauffant les pieds dans le ventre fumant des chevaux morts de froid, avant que le dernier acte n'accomplisse la mise à mort de Carmen, devant les grandes portes closes des arènes de Séville.


Savary sous le charme de Carmen [excerpt- complete review here]
Andreas Laska, Res Musica, 1 August 2004

[...] Roberto Alagna s'est également montré en grande forme. Comme on l'a pu entendre récemment dans Manon à Bastille ou dans Faust à Londres, il a su regagner une souplesse, une rondeur du timbre que l'on croyait perdues depuis qu'il s'était lancé dans des emplois bien lourds tels que le Trouvère ou Tosca. Ainsi, il a su nous offrir quelques piani et diminuendi à couper le souffle, sans renoncer, par ailleurs, à des aigus rayonnants, y inclus un contre-ut royal à la fin du deuxième acte. Mais Alagna n'exhibe pas seulement cette voix magnifique, bien au contraire. Son chant est toujours intense et il sait créer un personnage, vocalement et scéniquement. [...]


Carmen [excerpt - complete review here]
Christian Colombeau, Forum Opera, August 2004

[...] Annoncé à grand renfort de publicité, le premier Don José français de Roberto Alagna n'aura séduit que ses inconditionnels. Sans doute fatigué par une longue série de Faust londoniens, on a cherché en vain chez l'artiste un brin de présence en début de soirée. En seconde partie, une défonce totale - les élans véristes lui vont si bien - ne pourra cacher les nombreuses approximations musicales et vocales, un timbre terne, sans attraits.[...]


Images d'Epinal
Christian Merlin, Le Figaro, 2 August 2004

Carmen à Orange, c'est un rendez-vous obligé : douze ans après Yannis Kokkos et six ans après Nicolas Joel, c'était au tour de Jérôme Savary de mettre le Théâtre antique à l'heure espagnole. C'était sans doute lui faire beaucoup d'honneur que de le huer au salut final, comme une partie du public des Chorégies l'a fait samedi soir : sa production somme toute assez banale, avec taureaux et danseurs de flamenco, ne méritait ni ovations ni stigmatisation. Les festivaliers mécontents ont-ils été gênés par ces images d'Epinal tirant vers l'espagnolade de carte postale ? Orange est un lieu de fête populaire et non d'expérimentation, mais Savary aurait pu se creuser pour trouver plus de solutions nouvelles, comme cette petite fille que Carmen prend à témoin dès le début, et qui ouvrira avec un petit garçon le défilé de la feria : l'histoire peut donc se répéter.

Au moins les publics de Corée et du Japon, qui accueilleront cette production cet automne, seront-ils gratifiés d'une vision traditionnelle, avec des costumes tous plus chatoyants les uns que les autres. Mais peut-être les hueurs se sont-ils manifestés au contraire pour contester quelques ajouts assez gratuits, comme ces soldats éclopés qui reviennent d'une quelconque guerre d'Espagne au milieu de cadavres de chevaux fumants. On a connu Savary plus inspiré, ne serait-ce que dans les Contes d'Hoffmann ici même.

Mais n'allez pas croire que cette soirée fut mal reçue : l'immense majorité d'un amphithéâtre archi-plein s'en délecta et fêta les artistes. Le chef Myung-Whun Chung, en particulier, reçut des hourras auxquelles j'avoue avoir du mal à m'associer. Certes, le jeu du Philharmonique de Radio France fut glorieux : bravo pour cette subtilité de musique de chambre, seule à même d'éviter à cette musique géniale de passer pour vulgaire. Mais la direction proprement dite ? Pas plus qu'à la Bastille voici une dizaine d'années, Chung, qui dirige par coeur, ne trouve le rythme dramatique propre de Carmen : les pages rapides sont précipitées, les pages lentes sont étirées, au point d'empêcher toute fluidité. En outre, on lui pardonne difficilement d'avoir accepté de nombreuses coupures, ne serait-ce que dans le dialogue, au point que l'on a parfois plus l'impression d'assister à des morceaux choisis qu'à une intégrale.

C'est d'autant plus dommage que l'on disposait pour une fois d'une distribution à cent pour cent française ! Dans son rôle fétiche, même Béatrice Uria-Monzon a fait des progrès de diction. Sa Carmen est scéniquement accomplie : belle à se damner, railleuse mais sincère, elle ne triche pas avec ses sentiments et émeut sans hystérie. Malheureusement, ses grands «tubes» tombent au début de l'opéra : elle y fut décevante, forçant une voix mal chauffée. Mais une fois passé cet écueil, son chant à mi-voix fut superbe.
Pour son premier Don José en France, Roberto Alagna ajoute un nouveau trophée à son tableau de chasse : bien qu'il ne se soucie plus du tout de jeu scénique, chantant face au public, on succombe à sa voix si délicate et lyrique, à ses nuances (sans toutefois le piano sur le si bémol de l'air de la fleur) et à son sens inné de la langue. Leur scène finale fut d'anthologie.
Légère déception pour l'Escamillo de Ludovic Tézier, sans doute pas le meilleur rôle de ce baryton lyrique, d'autant que Chung, si prévenant pour les autres chanteurs, fit soudain donner la cavalerie. Franche inquiétude pour la Micaëla de Norah Amsellem : avec une voix instable et mal placée, elle chanta tellement faux pendant le duo avec Don José qu'Alagna lui-même en perdit le diapason. Bons seconds rôles, en particulier le Zuniga de Nicolas Cavallier.


Merci, Carmen!
Jacques Julliard, Le Nouvel Observateur, 5 August 2004

[...] «Carmen», enfin. Un quatuor de rêve, avec Béatrice Uria-Monzon dans le rôle titre, Roberto Alagna en Don José, Norah Amsellem en Micaëla, Ludovic Tézier en Escamillo. Deux premiers rôles confirmés, deux talents qui montent. Roberto Alagna, on le sait, est le meilleur Don José du moment. C'est un ténor à son apogée. Mais à Orange, il a quelque chose de plus. Il est chez lui, et le public le lui fait bien voir. Quant à Uria-Monzon, elle a le profil, le feu, la gestuelle, la pureté dans la voix, même s'il lui arrive parfois de manquer un peu de puissance. Norah Amsellem, que nous avions déjà remarquée ici en Gilda («Rigoletto»), elle ne cesse de confirmer. Dans son grand air du troisième acte («Je dis que rien ne m'épouvante» ), elle a été justement ovationnée. Ludovic Tézier est un baryton qui, par son phrasé, son assurance, son aisance, fait penser, dans un registre différent, à José Van Dam.

Myung-Whun Chung, enfin. Il était venu avec son Orchestre philharmonique de Radio-France. On a rarement vu un chef peser à ce point sur un spectacle tout en respectant les interprètes, la musique. Sa précision, son énergie, l'élégance de sa battue... On en oubliait de regarder la scène. Un spectacle d'une telle qualité suppose à la tête des Chorégies un grand professionnel et un travailleur acharné. Chapeau, monsieur Duffaut.


Une Carmen à la latinité bien française
Serge Martin, Le Soir, 7 August 2004

Jérôme Savary, le génial clown du Magic Circus, face à Georges Bizet : on pouvait craindre le pire. Et pourtant, aux Chorégies d'Orange, dans le cadre du théâtre antique, c'est bien l'histoire de Carmen qui nous est racontée. Avec un mélange de panache et de simplicité.

L'inventeur scénique est resté en retrait, sauf pendant les préludes orchestraux où il évoque la fatalité de la mort qui hante toute l'action : procession de pénitents sévillans encagoulés, cadavres de taureaux ou de chevaux, hommes-squelettes conduisant les chevaux de la parade des toreros. Les images frappent, mais s'estompent très vite pour laisser la scène aux protagonistes. En homme de théâtre, Savary sait gérer l'espace, démesuré, de la scène : les mouvements de foule sont fluides, tout en abandonnant des niches aux solistes.

Une distribution de choc

La direction d'acteurs privilégie la souplesse, mais réussit quelques moments forts où les corps se mettent à parler : le premier tête-à-tête de Carmen et Don José, qui la tient prisonnière au bout d'une corde avant de la laisser s'enfuir ; la scène de séduction de Carmen au deuxième acte ; l'affrontement fatal de la scène finale. Tout cela fonctionne très bien et réussit le pari de respecter, sur le plateau monumental du théâtre antique, l'intimité d'une oeuvre écrite pour la petite salle de l'Opéra-Comique.

Cette dimension intime est renforcée par le jeu analytique et transparent de l'Orchestre philharmonique de Radio France. Un orchestre qui frémit à l'unisson de l'action. Avec, parfois, dans la direction de Chung, un peu de complaisance pour la ligne de beau chant. Son orchestre cajole et entoure les voix plus qu'il ne les embrase. Mais ces tempi plus retenus conviennent bien au lieu et ont le mérite de porter le chanteur, avec une continuité aisée, une légèreté essentielle.

Vocalement, une distribution de « Carmen » est très exigeante dans la qualité des petits rôles. Les Frasquita et Mercédès délurées de Catherine Dune et Karine Deshayes, le Zuniga suffisant de Nicolas Cavallier, le Remendado et le Dancaïre complices de Gilles Ragon et d'Olivier Grand fournissent une armature de prestige à une distribution de choc.

Tout le monde attendait bien sûr le Don José de Roberto Alagna. L'élégance de ses phrasés, le naturel de sa diction sont servis par un timbre de soleil qui ose toutes les nuances du rôle sans jamais forcer la note. Tour à tour étonné, déluré, torturé ou revanchard, son Don José a la naïveté d'un jeune soudard pas encore éduqué à la vie ni aux femmes.

La prestance, Georges Bizet la réserve à son torero : un peu mal à l'aise dans l'attaque du grand air d'Escamillo, Ludovic Tézier gagne toutefois en stature au fil de la représentation. Tout comme la Michaëla de Norah Amsellem, dont la prestation culmine dans son air radieux du troisième acte, terminé sur une miraculeuse demi-teinte.

Reste la Carmen, obsédante de beauté, de Béatrice Uria-Monzon : une Carmen plus décidée que fatale, qui a ses doutes et ses colères, ses émois et ses insolences. Chez elle, la femme l'emporte sur la Gitane, et le personnage y gagne une distinction presque trouble quand le grave de la voix lance ses sons envoûtants.

Par l'homogénéité et l'engagement d'une distribution éloquente, le naturel du récit, la clarté limpide de l'orchestre, la « Carmen » d'Orange assume pleinement une latinité bien française. Bizet y rend hommage à Prosper Mérimée. Pour notre plus vif plaisir.


«Carmen» à Orange comme si vous y étiez
Agnès Dalbard, Le Parisien, 7 August 2004

Présentée par Eve Ruggieri, en léger différé du Théâtre antique d'Orange, voici la troisième et dernière représentation de « Carmen ». Signée par le tandem le plus inattendu de l'année - l'ébouriffant Jérôme Savary pour la mise en scène et l'impénétrable chef coréen Myung-Whun Chung à la tête de l'Orchestre philharmonique de Radio France -, cette production exclusivement française a déjà soulevé l'enthousiasme du public de connaisseurs des Chorégies. Savary a magnifié les subtilités d'une oeuvre que tout le monde connaît, pour la faire redécouvrir comme le drame d'une passion impossible. La longueur de la scène du Théâtre antique d'Orange (110 mètres) permettant du Cinémascope vivant, le metteur en scène n'ose pas seulement des déploiements de foule - Sévillans endimanchés, cigarières en jupon blanc, militaires en uniforme, Gitanes en robe à volant... - mais brosse de magnifiques fresques pour mieux exposer la fatalité du drame. C'est la force de ce spectacle.

Un bonheur communicatif

La distribution est exemplaire, jusqu'aux seconds rôles. Béatrice Uria-Monzon n'est pas une Carmen aguicheuse (comme la Julia Migenes du film de Francesco Rosi), mais une femme libre, maîtresse de son destin. Son chant et son jeu sont d'une noblesse farouche, en parfaite osmose avec la musique de Bizet, que le chef Myung-Whun Chung conduit avec un bonheur communicatif. Rarement Roberto Alagna a été si flamboyant, si vrai, si juste. Sa voix, sa ligne de chant prouvent là qu'il est « le » ténor insurpassable. Ses nuances sont de véritables exploits. L'Escamillo de Ludovic Tezier est splendide. Sa voix de baryton épanoui fait éclater le côté bravache du personnage. Nora Amsellem chante une Macaëla (la rivale de Carmen) d'une fragilité qui a séduit le public. Jamais on n'a entendu un « Carmen » aussi mélodieux. En septembre, cette production partira pour Séoul et Tokyo.
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Carmen (Georges Bizet), Orange, Théâtre Antique, 31 July 2004

Conductor: Myung-Whun Chung
Direction and Set Designs: Jerome Savary
Choreography: Laurence Roussarie
Costumes: Michel Dussarat
Orchestre Philharmonique de Radio France
Choeur de l'Opéra de Nice - Toulon - Avignon
Ensemble Vocal des Chorégies
Ballet de l'Opéra-Théâtre d'Avignon
Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Carmen : Béatrice Uria-Monzon
Micaëla : Norah Amsellem
Frasquita : Catherine Dune
Mercédès : Karine Deshayes
Don José : Roberto Alagna
Escamillo : Ludovic Tézier
Zuniga : Nicolas Cavalier
Le Remendado : Gilles Ragon
Le Dancaïre : Olivier Grand
Morales : Didier Henry
Lillas Pastia : Jean-Philippe Corre


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This page was last updated on: September 3, 2004