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Alagna, La Voix Domptée
Michèle Friche, Le Soir, 8 October 1995

Une exceptionnelle jeune vox française illumine le panthéon des ténors

Il a poussé dans le monde lyrique comme une graine de star née d'un conte de fées, sans usurpation prodige mais avec une farouche volonté d'éviter les faux pas : lauréat du premier prix du « Pavarotti International Voice Competition » en 1988, le plus éblouissant des Roméo depuis des décennies n'a pas mis un pied dans la moindre école de chant, il s'est forgé à l'écoute des Gedda, Kraus, Gigli, Bjorling, Caruso, Pavarotti... A 33 ans, ce ténor français d'origine sicilienne vient de sortir son premier disque de récital (1) et met le monde lyrique à ses pieds. Charnelle, chaude, lumineuse, la voix s'épanouit sur toute la tessiture, s'appuie sur des graves pleins et s'envole vers un aigu triomphant. Il peut la fondre dans des demi-teintes à vous donner le frisson et l'ourler d'ombres douloureuses, comme seuls les plus grands savent le faire. Alagna a le sourire désarmant des enfants émerveillés de leur propre gloire, il en a aussi l'aplomb et la conscience de la fascination qu'il exerce.
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Comment un gosse doué devient-il une star du chant ?

le chant dans une famille sicilienne, c'est quelque chose d'ancestral, mon père, mes oncles chantaient du matin au soir tandis que moi, on me regardait un peu de travers, parce que j'étais le plus timide. Quand, à 12 ou 13 ans, j'ai appris la guitare pour accompagner mon père, j'ai commencé à chanter, à composer aussi. On m'aurait alors bien bâillonné ! Jusqu'à 23 ans, je chantais chaque soir dans les boîtes. Deux guitaristes sud-américains m'accompagnaient et ils m'ont dit un soir : Il y a quelque chose qui ne va pas dans ta voix, tu as un défaut, tu chantes trop fort. Ils m'ont envoyé chez un vieux professeur, un contrebassiste, qui faisait travailler les artistes de cabaret et j'ai cru qu'il se moquait de moi quand il s'est écrié très ému que j'étais ténor ! On a commencé à travailler ensemble, sans partition, une sorte de chant « sauvage » à travers tout ce qui nous passait dans l'oreille, sans parler de technique, de style, d'exercices !

Quelle est l'étincelle qui vous a poussé à quitter le milieu de la variété ?

J'ai enregistré un disque de chansons - des choses ridicules, que j'avais un peu honte de chanter, avec play-back et synthétiseur. Je me suis rendu compte que ce monde-là ne me convenait pas et que celui de l'opéra me permettrait de chanter sans micro, avec des musiciens. J'ai donc bifurqué. Je n'avais pas beaucoup de moyens et je me suis présenté au concours de la vocation que j'ai gagné et... je n' ai jamais reçu la bourse parce que je ne sortais d'aucun conservatoire ! Vous imaginez ma colère. Ne t'inquiètes pas, je vais m'occuper de toi, c'est ce que m'a dit le président du jury, Gabriel Dussurget, et il m'a payé quelques cours de solfège et m'a présenté à certaines personnes.

Pourquoi paraissez-vous irrité lorsque l'on évoque votre voix naturelle ?

Ce n'est pas le fait que l'on parle de ma voix naturelle qui me crispe, mais bien que les gens ont l'air de croire que je chante par un coup de baguette magique, que je suis monté sur une scène d'opéra et que je n'ai eu qu'à ouvrir la bouche. C'est le contraire ! J'avais une voix facile mais je ne pouvais faire des aigus que quand j'étais en forme, j'avais des carences du côté des piano, etc. Il fallait donc que je maîtrise cette voix dite « naturelle » et c'est aujourd'hui le résultat d'un long travail qui n'est pas terminé.

Vous vous vantez de n'être pas un produit de conservatoire : comment avez-vous dompté votre voix ?

Les écoles de chant ne sont sans doute pas inutiles, certains ont besoin d'être guidés, mais d'autres trouvent seuls en observant. Prenez le cas de Caruso, de Del Monaco... Moi, j'enregistrais ma voix et je comparais le même air chez Gedda, Gigli... inlassablement, jusqu'à ce que je comprenne et que je le réalise. Ça peut être dangereux, parce que vous pouvez gober les tics et devenir une copie conforme. Il faut rester très vigilants dans l'autocritique. Mais c'est exact que personne ne m'a aidé. Je me suis forgé ma propre technique. Il est fondamental de se connaître tout en observant les autres. Le meilleur exemple de la respiration idéale du chanteur, celle du diaphragme, ne la voit-on pas quand un bébé respire « au naturel » ? Si vous entendiez les décibels que ma fille de 4 ans peut produire quand elle chante ! La technique du chant ne peut s'apprendre « de l'extérieur » comme pour celle d'instruments. J'ai donc inventé mes exercices qui feraient sans doute hurler certains professeurs et qui sont de fait horribles à entendre : grognements, miaulements, ce sont « mes » vocalises qui permettent de moduler l'instrument comme vous le souhaitez et de préparer dans votre tête le son que vous allez produire un dixième de seconde plus tard.

Sur scène, vous paraissez effectivement maître de tous les paramètres du chant, sans effort apparent, et avec un calme étonnant.

C'est ce que je souhaite. La vraie et bonne technique est celle qui disparaît au concert et qui, quoi que vous chantiez, permet de faire croire que le rôle vous convient parfaitement. J'ai la chance d'avoir de nature une sorte de self-control très rapide. J'entre sur scène dans un vrai état d'anxiété avec palpitations très rapides et, en quelques secondes, je parviens à les réduire, c'est une forme de yoga qui m'est aussi très personnel. Je peux garder une même relaxation lorsque je chante, tout en conservant la tension nécessaire à l'énergie vocale. Aucun geste n'est laissé au hasard. Je préfère la sobriété à l'exubérance... Et la quasi-immobilité concentrée par exemple dans une longue introduction orchestrale peut agir très fort sur le public.

Votre maîtrise ne parvient cependant pas à y englober un contrôle parfait de l'émotion...

C'est vrai... l'émotion m'échappe parfois. Mais vous devez immédiatement la récupérer, sinon vous risquez de nuire à la beauté du chant. Ça m'est arrivé dans la « Bohème », trop ému à la fin de l'opéra, j'ai été incapable de chanter le dernier Mimi. Même si le public en est tout autant bouleversé, c'est une situation délicate... Je crois que l'on ne peut bien chanter que lorsqu'on est heureux, et je suis persuadé que certains artistes perdent leurs voix non parce qu'ils ont pratiqué un répertoire trop lourd mais parce que leurs nerfs ont lâché, le doute s'est installé en eux, à cause des critiques, de l'entourage, d'un manque de stabilité affective. Paradoxalement, le désespoir peut aussi donner une force incroyable. Là vous explosez et chanter devient vital, vous n'avez plus rien d'autre (2).

Vous êtes pour l'instant sous le feu des projecteurs, comment comptez-vous résister à cette pression ?

En gardant les pieds sur terre. La gloire, c'est de la fumée éphémère. On me dit exceptionnel aujourd'hui, et puis demain, on épinglera l'une ou l'autre de mes conneries... Je veille désormais à revisiter mon planning sous l'influence de ma compagne, Angela Georghiu. Je ne veux pas dépasser 5 représentations par production, avec 2 jours entre elles. J'en fais actuellement plus de 80 par an, je descendrai à 50. Je ne tiens pas non plus à me lancer tête baissée dans les enregistrements. Il est plus important et moins dangereux de se faire connaître d'abord sur scène. (3)

Quels sont vos rapports avec les metteurs en scène ?

La première fois que j'ai vu un opéra dans une salle, c'était moi qui étais sur scène... Je n'avais aucune expérience ! En toute bonne foi, j'ai adopté des gestes conventionnels avant de m'apercevoir qu'il y avait moyen de jouer autrement, d'une manière plus simple en restant moi-même. C'est formidable quand vous avez des metteurs en scène qui développent votre instinct au lieu de vous façonner en marionnettes. C'est pareil pour les chefs d'orchestre, il y a ceux qui vous écoutent et les autres, avec un standard d'interprétation, mais la vraie musicalité, c'est la respiration d'une vie et personne ne respire de la même façon. Je m'opppose souvent avec des metteurs en scène et des chefs, mais je discute, je ne me fâche pas. Et bien souvent on finit par tenir compte de mes idées.

(1) Airs d'opéras français et italiens, accompagnés par le London Philharmonic, Richard Amstrong (EMI) : superbe panachage de styles, de tubes et d'oeuvres peu connues.

(2) La première épouse de Roberto Alagna est décédée d'une tumeur en 1994.

(3) Prochaines parutions chez EMI : la «Bohême» sous la direction de Pappano, un récital de duos avec Angela Georghiu. En projets : «Roméo et Juliette», «Don Carlos», mélodies napolitaines, chants sacrés. A paraître chez Erato : «les Contes d'Hoffmann». Déjà parus : «Elixir d'Amour» (Erato), «GIanni Schicchi» (Decca), «Rigoletto», «Traviata» (Sony)

Alagna chantera dans la «Bohème» à l'Opéra Bastille, en décembre.

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This page was last updated on: January 1, 2004