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VOCE DI TENORE SITE MAP
La passion Alagna
J. L.Tallon, HorsPress.com, January 2002


En quelques années, Roberto Alagna est devenu l'une des figures majeures
de l'art lyrique. Avec toujours cette même flamme, ce même bonheur
d'interpréter et de chanter les plus belles passions du répertoire
musical. Rencontre avec l'un des plus attachants représentants du bel
canto.

JLT - Quel souvenir gardez-vous de votre première expérience au cinéma,
dans le film de Benoît Jacquot, Tosca ?

RA - Très bon. J'ai eu la chance de travailler dans de bonnes conditions
avec des professionnels sympathiques. Ce travail ne ressemblait pas à un
travail. Les gens étaient passionnés. Ca m'a permis de faire évoluer mon
interprétation, de l'intérioriser davantage.

JLT - Avoir joué aux côtés de Ruggero Raimondi, qui avait déjà une
certaine expérience du cinéma, vous a-t-il appris ?

RA - Je n'ai pratiquement pas vu Ruggero Raimondi. Je n'ai joué qu'une
scène avec lui et elle ne durait qu'un quart d'heure. Nous nous sommes
donnés la réplique. Il était en fait presque plus paniqué que moi. Il
avait de l'expérience. Moi, je n'avais pas ce handicap. Personne ne
m'attendait au tournant tandis que Ruggero devait prouver à nouveau
qu'il était le meilleur..

JLT - Seriez-vous prêt à repartir pour un second film ?

RA - C'est déjà fait. J'ai tourné une adaptation de Roméo et Juliette
pour la télévision anglaise et canadienne. Et puis il y a le projet d'un
autre film d'opéra, pour le cinéma cette fois-ci.


JLT - Vous ne pouvez pas en dire plus ?

RA - Je ne préfère pas. C'est un secret. J'ai rencontré aujourd'hui les
producteurs et toute l'équipe. Ce projet me tenait à cour depuis très
longtemps. Je peux vous dire une chose : je tiendrai deux rôles dans ce
film.

JLT - Bon ! C'est déjà une indication ; on va pouvoir lancer des
recherches [rires]

RA - [rires]

JLT - Quels compositeurs d'opéra aimeriez-vous aujourd'hui aborder ?

RA - C'est une question difficile. J'aimerais aborder tous les genres et
tous les compositeurs d'opéra.

JLT - Et quels personnages aimeriez-vous aujourd'hui interpréter ?

RA - Là encore, j'aimerais tous les aborder, le plus possible en tout
cas. Certains personnages, comme Otello ou Samson, m'intéresseraient.
Des personnages complètement à l'opposé de ma nature seraient
intéressant à interpréter pour pouvoir composer un personnage, c'est sûr
qu'il y a des personnages qui me vont très bien aujourd'hui et que
j'espère chanter très bientôt. Ce sont les personnages comme ceux
d'André Chénier, qui allient un tempérament fougueux et en même temps
une sorte de poésie et d'élégance dans le geste et dans la vocalité.

JLT - Quel regard portez-vous sur l'opéra contemporain, enfin, je
devrais dire les opéras contemporains. en tant que chanteur lyrique,
bien sûr.

RA -Je trouve que c'est bien. Il faut continuer à composer, mais il ne
faut pas oublier, comme disait Verdi, la tradition. Le contemporain,
moi, je suis d'accord, mais il ne faut pas oublier que ce qui fait la
musique, c'est avant tout la mélodie. Si on s'en tient à des
compositions uniquement atonales, simplement pour montrer une forme de
technicité, de dextérité à composer les combinaisons les plus
compliquées, là je suis un petit peu moins d'accord. J'aime quand la
musique me fait vibrer, me donne des sensations, j'aime que la musique
me fasse pleurer, me fasse rire, que j'éprouve toutes les sensations
normales que doit donner la musique, et souvent lorsque j'écoute des
oeuvres contemporaines, il s'agit davantage d'une démonstration de
virtuosité.

JLT - Et comment jugez-vous la vague minimaliste, répétitive, qui
justement a essayé de réintroduire la tonalité, comment voyez-vous ce
retour à la mélodie ? Je pense à John Adams, par exemple.

RA - Oui, c'est vrai qu'il y a certains compositeurs qui se sont un peu
tournés vers le passé et qui ont essayé de retrouver un sens mélodique,
mais le problème aujourd'hui c'est qu'on privilégie beaucoup la masse
orchestrale, au détriment du bel canto, c'est à dire du bien
chanté.Certains opéras contemporains sont particulièrement difficiles à
aborder en raison de combinaisons pénibles pour la gorge du chanteur et
qui tout d'un coup peuvent gêner le bon fonctionnement du larynx.
L'émission vocale, voire même l'intonation, peut alors être perturbée.
Le fait qu'il y ait des écarts trop grands ou des écarts qui ne sont pas
d'un naturel normal pour l'oreille humaine, fait qu'on est quelques fois
plus très sûr de la justesse. Il faut alors travailler. On arrive à un
certain moment à obtenir cette justesse, mais c'est en perdant la
sensibilité, le côté interprétation. On tombe alors de nouveau dans le
côté démonstration dont nous parlions, c'est quelque chose qui manque de
vécu, or il faut au contraire que la musique soit habitée.

JLT - Vous trouvez que dans les compostions contemporaines la voix est
aujourd'hui plus traitée comme un instrument ?

RA - Oui, et c'est ce qui est un peu dommage, ce manque d'humanité dans
la musique.

JLT - Dernière question toujours par rapport à ces opéras contemporains,
comment voyez-vous le fait que le ténor ne soit plus une figure imposée
et que l'on a pu voir revenir sur le devant de la scène des voix comme
le contre-ténor.

RA - Le retour des contre ténors, c'est effectivement quelque chose de
nouveau, pour moi ce n'est pas un problème. Mais le ténor a sa place, le
supprimer ce serait comme si au cinéma, on perdait le jeune premier, ce
serait dommage.

JLT - Et c'est vrai que le ténor est quand même plutôt assimilé au jeune
premier.

RA - Oui, bien sûr, parce que la voix est faite pour ça, c'est certain,
c'est sûr que ça reste difficile aujourd'hui d'imaginer des oeuvres sans
ténor.

JLT - Est-ce que vous refuseriez de jouer dans un opéra par
incompatibilité esthétique avec le metteur en scène ?

RA - Aujourd'hui, en matière de mise en scène, il y a une tendance à l'
abstrait, les décors ne racontent plus l'histoire. C'est une mode. Moi
je ne suis pas certain que ce soit le goût du public, car si ça l'était
vraiment, on ferait la même chose au cinéma. Or on sait que toutes les
écoles françaises dans le sillage de la nouvelle vague n'ont pas trouvé
leur public, en revanche depuis qu'on retourne au cinéma historique avec
costumes etc, eh bien tout à coup, le cinéma français traverse les
océans, arrive aux Etats-Unis. Le public de l'opéra est le même que
celui qui va au cinéma. Je ne comprends pas pourquoi on maintient ces
décors abstraits qui ne plaisent à personne en réalité, simplement pour
dire qu'on est moderne. c'est un handicap pour les chanteurs et les
acteurs. Imaginer qu'on est dans tel ou tel lieu, sans accessoire, sans
rien autour, avec un décor qui pourrait servir pour tous les opéras du
monde, je trouve ça un petit peu gênant, voire un petit peu dégradant.
Mais vous savez c'est difficile de dire non, parce qu'il y a les
contrats, et parce qu'on est obligé de les honorer. Si ça ne tenait qu'à
moi, je dirais non.

JLT - Etes-vous d'une famille de musiciens ?

RA - Oui. Je suis d'une famille d'artiste. C'est une famille typiquement
italienne, qui aime la fête et qui est attirée par les arts. Mes frères
sont peintres, sculpteurs, décorateurs, musiciens, metteurs en scène. On
touche donc un petit peu à tout et nous jouons tous de plusieurs
instrument.

JLT - C'est ça qui vous a fait aller vers le chant, au point de
l'apprendre en autodidacte ?

RA - Très tôt, j'ai voulu devenir artiste, mais je ne savais pas dans
quoi. J'étais attiré aussi bien par le sport que par le cirque, ainsi
que par la comédie, la musique, et bien sûr par le chant parce que
c'était inné en moi.

JLT - Oui alors pourquoi plus particulièrement par le chant ?

RA - J'étais quelqu'un de très introverti et de très timide, le chant
m'a permis de me projeter un peu vers les autres. Au départ, j'ai
commencé à accompagner des gens de ma famille à la guitare, mon père
notamment. La guitare devant moi était une sorte de carapace, c'était
une armure, une forme de protection. Ainsi, le fait de me sentir
protégé, m'a permis de me lancer moi-même dans le chant. Ensuite, il m'a
fallu beaucoup travailler. Ca n'a pas été de tout repos, mais je voulais
faire un petit peu de tout, et je suis très chanceux, car c'est vrai que
l'opéra, est une discipline qui englobe toutes les autres.

JLT - Oui, c'est l'art total.

RA - Il y a de la danse, des acrobaties, de la comédie, du chant, vous
avez tout à l'opéra, c'est le spectacle vraiment complet par excellence.

JLT -Avez-vous eu des modèles de chanteur ?

RA -Oui, tous. j'ai essayé vraiment de piocher chez tout le monde. Et je
continue à le faire. D'abord je suis mélomane, avant d'être chanteur
moi-même, je suis un passionné d'opéra et j'éprouve beaucoup de plaisir
à découvrir de nouveaux chanteurs, et à réécouter les anciens, et pas
seulement les ténors.Je suis passionné par la voix humaine. Elle me
touche, c'est un son, une chaleur, un instrument doté de la parole, donc
le plus beau qui puisse exister.

JLT - Plus pratiquement, quel est l'emploi du temps d'une journée avant
une représentation ? Aujourd'hui, par exemple ?

RA - Aujourd'hui, figurez-vous que j'ai beaucoup travaillé, parce que
j'ai eu beaucoup de rendez-vous d'abord pour ce film puisqu'il a fallu
que je rencontre des producteurs, et il y a toujours les problèmes
économiques à résoudre, c'est pas très drôle. Ensuite, j'ai eu un
rendez-vous avec mon manager pour parler de l'avenir, des nouveaux
contrats, des nouveaux projets, puis j'ai rencontré des gens du
Metropolitan - ils étaient là hier soir pour Lucie di Lammermoor -,
enfin j'ai rencontré des responsables de ma maison de disques, pour
travailler sur des disques déjà enregistrés et qui sortiront bientôt.

JLT -C'est ça une journée typique ?

RA - Oui, c'est ça. Le jour du spectacle et la veille, j'essaye de ne
voir personne et de rester tranquille à la maison en regardant la télé
ou en bouquinant, c'est ce que je préfère, ou alors je vais me balader
dans les rues, mais le mieux, pour un chanteur, c'est d'aller au cinéma,
parce que c'est le seul endroit où on ne parle pas, et où, au moins, on
repose ses cordes vocales.

JLT - Justement, comment préparez vous et reposez vous vos cordes
vocales ?

RA - Il faut simplement essayer de parler le moins possible. Ces petites
cordes sont tout le temps sollicitées, pendant que je vous parle, je
suis en train de travailler sur mes cordes vocales. Aujourd'hui j'ai
parlé toute la journée, ce n'est pas très bon, mais ce sont les
impératifs de notre profession. Ce qu'il faut surtout avant un
spectacle, c'est se concentrer. C'est une sorte de concentration qui se
rapproche presque du yoga, une chose de très métaphysique, on essaye de
gommer toutes les tensions mais en même temps en stimulant les énergies
pour pouvoir être le jour J. à la fois très tonique et en même temps
très relax à l'intérieur. Ca paraît compliqué.

JLT - Non, non, on visualise bien. Comment jugez-vous le fait que
certains chanteurs d'opéra se produisent dans les concerts de star de
rock, vous qui n'aimez pas trop les étiquettes je crois, c'est quelque
chose que vous trouvez bien ou qui vous agace?

RA -Je trouve ça très bien parce que grâce à tout ces concerts, l'opéra
n'a jamais été aussi populaire qu'aujourd'hui. C'est donc positif, il
faut dire merci à tous les Pavarotti et cie, qui ont dépoussiéré
l'opéra, moi je dis bravo.

JLT - Comme Benoît Jacquot et Daniel Toscan du Plantier qui font
connaître l'opéra via le cinéma, c'est pareil ?.

RA - Oui, vous savez, moi si je suis venu à l'opéra, c'est grâce au
cinéma, quand j'ai vu pour la première fois, j'avais dix ans, le grand
Caruso. Si nous on peut faire naître des vocations grâce à ce film, je
serais heureux. Je pense que l'opéra n'est pas quelque chose d'élitiste.
Et quand vous recevez le don du chant, je crois qu' il ne faut pas être
égoïste. L'opéra n'est pas réservé à une certaine catégorie de
personnes, il faut essayer de faire partager des émotions au plus grand
nombre.

JLT -Cela dit, il y a quand même une question de prix des places
toujours.

RA- Oui, on dit toujours ça.

JLT - Vous n'y croyez pas trop ?

RA - Si vous allez voir Johnny Halliday au stade de France, c'est la
même chose. Ca coûte autant, les gens y vont quand même et personne ne
dit rien. La dernière fois que je suis allé à Londres, c'était cent dix
francs la place de cinéma, voir un film d'une heure et demie ou de deux
heures, c'est le prix d'un disque.

JLT - L'opéra n'est pas assez connu du grand public ?

RA - Disons qu'il y a une certaine catégorie de gens qui veulent se
l'accaparer, et c'est une erreur. Si on aime l'opéra, si on est vraiment
un passionné il faut tout faire pour le faire vivre le plus longtemps
possible et pour faire vivre le génie de ces compositeurs, car c'est
quand même miraculeux qu'aujourd'hui en 2002, on chante encore une
musique qui a quelquefois 500 ans d'âge.

JLT - Etes -vous satisfait de la représentation de Lucie di Lammermoor ?

RA - Oui. Je suis très content, parce que vous savez, c'est un
challenge, les gens sont habitués à entendre Lucie en italien, et là
tout d'un coup, c'est une sorte de résurrection de l'ouvre avec la
version française. Moi je ne l'avais pas chanté depuis 8 ans, la
dernière fois, c'était à la Bastille, depuis j'ai chanté beaucoup de
rôles lourds et ça m'a fait du bien de revenir à un rôle un peu plus
léger où il faut maîtriser la demi-teinte, les piani, les aigus, j'ai
fait la note la plus aiguë de ma carrière, j'ai chanté jusqu'au mi
bémol..il faut toujours essayer de faire mieux, battre des challenges,
ça veut dire être sur la pente ascendante, c'est donc bon signe.
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This page was last updated on: September 2, 2002