Javascript is either disabled or not supported by this browser. This page may not appear properly.
REVIEWS
La Donna del Lago, Montpellier, 23 July 2002


La Donna del lago, Forum Opéra
______________________________________________________________


Montpellier La Donna del Lago de Rossini
Jacques Duffourg, Concerto Net, July 2002

Gioacchino Rossini : La Donna del Lago (La Dame du Lac)
Livret d'Andrea Leone Tottola d'après Sir Walter Scott

Juan Diego Flórez (Giacomo/Uberto), Brigitte Hahn (Elena), Daniela
Barcellona (Malcolm), Gregory Kunde (Rodrigo di Dhu), Nicola Ulivieri
(Douglas), Karine Deshayes (Albina), Franck Bard (Serano, Bertram).

Choeurs de la Radio Lettone,
Orchestre National de Montpellier Languedoc Roussillon, Riccardo Frizza
(direction).

Spectacle en version de concert

Présentée comme l'un des moments forts du Festival de Montpellier 2002,
cette version de concert de La Donna del Lago aura mérité, pour le
moins, un accessit. Vocation même des lieux, la remise à l'honneur des
pans entiers de répertoire omis (à condition qu'il ne s'agisse pas de la
Symphonie de Wagner.) sied aux opere serie de Gioacchino Rossini. S'ils
sont plus familiers aujourd'hui que dans les années soixante, au moins
par leurs titres, aux oreilles des mélomanes ; on n'en fera jamais assez
pour les donner à goûter au plus large public possible, n'est-il pas
vrai ? René Koering offre au compositeur, dans l'Opéra Berlioz à
l'acoustique si parfaite, une distribution alléchante pour l'un de ses
opéras les plus originaux : on en salive d'avance. Gregory Kunde, en
effet, pratique avec prestance ce domaine depuis de longues années ; et
l'affiche comporte aux côtés de Brigitte Hahn - une habituée du festival
désormais, de Donizetti à Franz Schmidt - une paire majeure : Daniella
Barcellona... et Juan Diego Flórez. Les deux étaient de la série de
Pesaro 2001 (Barcellona remplaçant Podles au pied levé), aux côtés de
Mariella Devia et Charles Workman, dans la même oeuvre.

Inspirée de Walter Scott, adaptée par Tottola, cette Dame du Lac
présentée au San Carlo de Naples en 1819, contribuera, à la suite de
l'Élisabeth reine d'Angleterre de 1816 - même compositeur, même
théâtre - à lancer la «mode» de l'anglophilie dans la tradition du bel
canto «romantique». Beaucoup d'Élisabeth chez Donizetti, même en Sibérie
; de Pacini, on a un Ivanhoe ; chez Bellini, chantent des Puritains dits
(faussement) d' «Écosse». L'Écosse rossinienne, elle, est plausible - et
particulièrement bien troussée : point besoin de kilt pour y croire. Le
public parthénopéen dut même ressentir quelque tracas devant l'opulence
cuivrée (entre deux et six cors) d'un orchestre d'effectif raisonnable.
Très important : la prima donna Isabella Colbràn, maîtresse de Domenico
Barbaja l'impresario, comme de. Rossini, en créant Elena, devait déjà
amorcer son déclin ; car, quelque brillant et irrésistible que soit son
Rondo final célébrissime «Tanti affetti», sa partie est techniquement
modeste, et fort centrale. Au musicien de s'assurer la collaboration de
ses deux ténors fétiches, Davidde et Nozzari (du plus aigu au plus
barytonnant) ; et de s'embarquer non pour Cythère, mais vers les brumes
des Loch, et un univers forestier... aussi peu napolitain que possible.

Autre chose : The Lady of the lake de Sir Walter Scott a connu d'autres
adaptions en musique, dont une au moins a fait le tour du monde, pour le
meilleur et surtout pour le pire : l'Ave Maria de Schubert, troisième
des sept Ellens Gesänge. En outre, Tottola est allé grappiller des
inspirations connexes, non sans bonheur, chez James McPherson (Les
Poèmes d'Ossian - mais oui, ceux-là même de Werther.). Voilà donc une
position géoculturelle et historique des plus intéressantes. Mixte
(écossaise, nordique pour le moins, quant à l'inspiration - mais
techniquement italienne tout de même), l'oeuvre jouit d'une
orchestration soignée, riche, variée, au coloris très finement
septentrional. Tiens donc : deux années plus tard, un certain Carl Maria
von Weber «fondera» littéralement le genre de l' «opéra allemand» avec
Der Freischütz (guichets fermés, triomphe complet). C'est d'autant plus
troublant que bien des teintes wébériennes sont déjà présentes dans la
palette du peintre pésarais ; que les concertos de Weber - surtout pour
clarinette - sont les plus «rossiniens» que l'on connaisse ! Et enfin,
qui est l'un des pères fondateurs du grand opéra... français, sinon
Rossini lui-même, par le biais de Guillaume Tell ; dont la couleur
locale (helvétique cette fois) est en gésine dans le présent Loch pour
belle Hélène mélancolique ?

Le canevas n'est guère folichon. Il s'agit encore et toujours de
guerres, d'amours contrariées, de jalousies ; de frictions, d'exils et
de souverains cléments. Lieto fine de rigueur : pas l'essentiel, on s'en
doute. Par contre, la quasi-omniprésence du choeur, dont toutes les
ressources sont admirablement traitées, est une grande nouveauté
belcantiste. Elle marquera tellement les esprits du XIX° siècle, que
Stravinsky s'en souviendra encore pour son Oedipus Rex, sans doute, via
les Scènes de Faust de Schumann ! Un défaut : le déséquilibre entre les
deux actes, le premier étant près de deux fois plus développé que le
second. Pourquoi en avoir, dès lors, retranché la chanson «Aurora ! Ah
sorgerai» de Giacomo-Uberto, qui nous eût été susurrée par Juan Diego
Flórez ? Mystère programmatique. Peut-être un choix incompréhensible du
chef Riccardo Frizza, de qui l'on a reçu autant de caresses que de coups
de règle. Au crédit : une grande lisibilité des plans, une mise en
valeurs hors pair des cuivres ; ce qui n'est pas gagné d'emblée. On aime
aussi l'écoute portée aux artistes durant l'acte I, et une bonne
conduite du si retors crescendo rossiniano (cabaletta de Malcolm «O
quante lagrime»). Le Finale est splendidement équilibré. Parfait.
Pourtant, au retour des vestiaires, ce sportif de la baguette a des
démangeaisons de sprint ! On l'a dit, le II est déjà très court : c'est
ennuyeux de hâter les choses.

D'autant que cela va de pair avec une croissance du volume regrettable
(travail au décibel - la huitième plaie d'Égypte des maestri actuels),
ainsi qu'une grande sécheresse de battue (même remarque). Pire : des
chanteurs, et même les admirables choristes de la Radio Lettone en état
de grâce, en deviennent couverts. Pas de rémission, on est emporté à
marche forcée vers le Rondo conclusif, comme au commissariat. La
partition est littéralement expédiée : pulsation solennelle (et intime
pourtant) du début boutée hors du Corum, la floraison de tendresse
élégiaque dans «Fra il padre, e fra l'amante» devient un passage de
tondeuse à gazon. Difficile de finir davantage en queue de poisson, avec
ou sans lac. On a louangé les Chours lettons, habitués de Montpellier,
auteurs d'une véritable performance dans les passages de grâce (avec la
harpe) comme les envolées militaires ; parlons maintenant du plateau.
Star désormais reconnue et attendue de pied ferme, Juan Diego Flórez, en
roi Giacomo, vêt les oripeaux d'Uberto - en l'occurrence des habits de
fête ! La luminescence suave et virile du timbre, la projection sans
faille, la ductilité de la quinte aiguë ; la technique irréprochable, la
capacité à jouer un tant soit peu, même en concert. Tout ne fait que
confirmer le bien que l'on connaît déjà de lui en France (L'Italienne à
Alger, Falstaff, bientôt Cendrillon.). On retrouve bien sûr avec joie «O
fiamma soave», qui figure déjà dans son récital Decca pour l'île
déserte.

Ceux qui le découvrent s'enthousiasment à bon droit ; ceux qui le
connaissent bien, après cette ivresse promise et accordée, ont envie de
lui demander encore un petit effort de personnalité, d'émotion ; dans l'
émission parfaite, dardée - mais un poil monotone - de ses aigus, à
partir du si. C'est très difficile : nul doute qu'il y parviendra ! Si
son triomphe, archi-mérité, est somme toute logique, il y a d'autant
plus d'intérêt à s'attarder sur une mezzo encore peu connue chez nous ;
et qui a bien failli lui rafler la mise. Daniella Barcellona, très jeune
elle aussi, s'impose sans coup férir en Malcolm. Le timbre est beau et
égal sur une grande longueur de tessiture ; à cette homogénéité (qu'on
querrait bien en vain chez Von Stade, la Larmore actuelle - voire
Kasarova) s'ajoute une désinvolture épatante dans la technique. Souffle
long, messa di voce raffinée avec une puissance non négligeable : c'est
du caviar vocal, non sans évoquer une Valentini-Terrani en plus corsé.
Accordons-lui de surcroît une présence théâtrale, un investissement de
tous les instants dans un sourire confondant. Des aigus encore un peu
verts mûriront avec les ans : peut-être a-t-on, enfin, le mezzo héroïque
rossinien que l'on recherche - malgré Podles, Blythe, Genaux - depuis le
retrait de Marilyn Horne ? Très impressionnant, vraiment. Gregory Kunde
s'impose sans difficulté, en particulier dans son air terrible «Eccomi a
voi, miei prodi», véritable et crucifiante ébauche du «Terra amica» de
Zelmira. Certes, les aigus sont un peu tirés, et le moelleux bien terni
ne met que davantage en avant le caractère exceptionnel de son rival
péruvien dans Rossini. N'empêche, c'est bien mieux qu'honorable !

Même remarque pour Nicola Ulivieri (Douglas), se sortant très
correctement d'un air de basse coloratura à chausse-trappes, «Taci ! lo
voglio», dont Samuel Ramey fit nos délices. On repère avec plaisir la
triomphatrice du Concours des Voix Nouvelles 2002, Karine Deshayes, si
exquis marmiton dans la Rousalka de Bastille. et attendue à Garnier dans
Juliette ou la clef des songes de Martinu. Son petit rôle d'Albina est
tenu avec bien plus que de la classe ; de plus elle résiste à quelques
assauts bruyants de Frizza : bravo ! Est-ce parce qu'il joue les
utilités que Franck Bard se sent obligé de «faire la tête» toute la
soirée ?! Cela n'ajoute rien à une existence vocale proche du zéro. Mais
au fait, autour de qui tous ces personnages s'activent-ils ? Il existe
bien une Dame du Lac dans le titre, sacrebleu. Force est d'admettre avec
consternation que Brigitte Hahn s'y est noyée. Son problème numéro un
est une absence totale et irrémissible de charisme ; ce qui eût pu
rattraper le souci numéro deux, l'inexistence de la technique, dans une
vocalité ululante à partir du la. Ne parlons pas de l'ut ! Troisième
handicap : la laideur de la voix ; monochrome, mate, expressive comme un
ronronnement de machine-outil. Ce n'est pas tout : elle n'interprète
rien, cette Dame. Un roi se révèle à ses yeux (en principe) éblouis :
elle ne bronche pas plus que la Vénus de Milo. Duos, ensembles et Finale
du I sont déroulés comme la liste des commissions, vocalises «savonnées»
en prime. Le «Tanti affetti», caqueté dans le vide avec un air méchant,
mérite bien son titre : on ne pensait pas vivre tant de dures émotions,
en effet. Un gâchis unilatéral.

La Donna del lago
Dominique Vincent, Forum Opéra, July 2002

On ne saurait trop louer le Festival de Montpellier pour sa
programmation lyrique originale autant qu'audacieuse qui permet de
redonner leur chance à des oeuvres oubliées ou d'en faire entendre
d'autres trop négligées par les scènes internationales. La Donna del
lago appartient à cette seconde catégorie. Elle fut en effet exhumée en
1958 après un siècle d'oubli, par un autre festival spécialisé dans les
raretés, le Mai Musical florentin. Caballé la chanta en 1970 à la RAI.
Pesaro qui l'afficha dès 1981, la proposa en 1983 dans une distribution
proche de l'idéal ( Ricciarelli, Valentini-Terrani, Ramey...) sous la
direction de l'inattendu Pollini. Muti enfin la dirigea à la Scala en
1992 avec Anderson, Blake et Merritt. Ces deux dernières productions ont
fait l'objet d'intégrales officielles respectivement chez Sony et
Philips. C'est déjà beaucoup, mais insuffisant pour un ouvrage d'une
telle importance.

Rossini se doutait-il en composant ce chef-d'oeuvre qu'il jetait rien
moins que les bases de l'opéra romantique ? Par le choix du livret
d'abord : c'est le premier opéra à être tiré d'un texte de Walter Scott,
et l'on sait le nombre d'oeuvres lyriques que l'écrivain écossais devait
inspirer dans les décennies qui allaient suivre. Par le climat général,
évoquant paysages lacustres et montagnards, qui préfigure Guillaume
Tell. Par une orchestration extrêmement soignée et brillante faisant la
part belle aux vents et aux cuivres, les cors en particuliers : Le
Freischütz n'est pas loin. Par une richesse mélodique dont même Bellini
ne rougirait pas et enfin par l'importance accordée aux choeurs -
souvent guerriers et patriotiques - qui annoncent le Verdi de Nabucco et
des Lombardi.

Naples, on le sait, fut pour Rossini la ville de toutes les expériences,
ses partitions les plus novatrices y virent le jour. Là, il disposait
d'une troupe de chanteurs de haut niveau qui comportait, outre les deux
célèbres ténors Davidde et Nozzari, la prima donna Isabella Colbran,
future épouse du maestro. Le rôle-titre lui étant destiné, on imagine à
quel point il a bénéficié de soins particuliers pour mettre en valeur
les possibilités techniques et vocales de la cantatrice. Pour
l'incarner, le festival a fait appel à Brigitte Hahn, habituée des
lieux. Un choix consternant, la cantatrice ayant déjà montré in loco
dans Les exilés de Sibérie de Donizetti, en 1999, son absence
d'affinités techniques et stylistiques avec ce répertoire. A court de
graves, le timbre dépourvu de séduction s'altère dès le haut-médium, les
vocalises sont bien laborieuses, et la caractérisation de l'héroïne
plutôt sommaire. En outre, sur scène, la chanteuse semble s'ennuyer tout
au long de la représentation. Comment croire une seule seconde que ce
personnage sans attrait ni éclat puisse avoir à ses pieds trois
prétendants dont un roi ! Au premier acte ses "Mattutini albori" sont
bien grisâtres, et le rondo final est expédié manu militari par le chef
qui semble soudain pressé d'en finir et couvre par moment sans
ménagements son interprète.

Fort heureusement le reste de la distribution, d'un tout autre niveau,
allie le très bon à l'exceptionnel : la jeune Karine Deshayes, lauréate
du concours des Voix nouvelles 2002 , capte l'attention dans le
personnage épisodique d'Albina auquel elle prête la fraîcheur de son
joli timbre. Nicola Ulivieri ne saurait faire oublier Ramey, cependant
ses moyens solides et sa technique accomplie conviennent au rôle de
Douglas auquel il parvient à donner l'autorité et la noblesse requises.

Mais ce sont surtout les trois soupirants d'Elena qui sauvent la mise et
évitent, du moins jusqu'au rondo final, à cette Donna de sombrer corps
et bien dans le lac !

Dans le rôle de Malcolm où s'illustrèrent Horne, Valentini-Terrani et
Dupuy, Daniela Barcellona impressionne le public du Corum avec une voix
puissante au timbre riche et mordoré. Sa grande scène du premier acte
"Mura felici", interprétée avec conviction, déchaîne un enthousiasme
amplement mérité : les graves sont splendides et jamais appuyés, les
coloratures magistralement exécutées. Il lui reste encore à maîtriser un
aigu un peu raide par moment, pour lui conférer tout le moelleux
nécessaire. En attendant elle a déjà tout d'une grande !

Gregory Kunde se tire admirablement du rôle ingrat et crucifiant de
Rodrigo qu'il chante depuis plus de dix ans. Quelques aigus un peu tirés
dans le terrifiant récitatif de son air d'entrée "Eccomi a voi miei
prodi" et le léger voile déposé par les ans sur son timbre ne sauraient
entacher une interprétation de grande classe. La cavatine "Ma dov'è
colei che accende" est un modèle de chant legato d'une élégance rare.
Soulignons également le fair-play de l'artiste qui applaudit à tout
rompre son jeune rival péruvien.

Juan Diego Florez est en effet le grand triomphateur de la soirée : le
timbre lumineux et chatoyant exerce une séduction irrésistible, la
technique sans faille aucune lui permet de se rire de toutes les
embûches dont Rossini a parsemé un rôle écrit pour le grand Davidde.
L'aigu claironnant, plein, rond, et jamais forcé semble sans limite et
les nuances délicates dont il pare son air "O fiamma soave" laissent
pantois ! Ajoutons qu'il campe avec subtilité le rôle complexe d'
Uberto/Giacomo, à la fois amoureux transi et roi vainqueur et généreux.
Avec un tel artiste, on se prend à regretter que Rossini n'ait pas
destiné le rondo final à ce personnage!

Saluons la belle prestation des choeurs de la Radio Lettone, habitués
du festival, dans les interventions nombreuses et souvent complexes que
leur réclame la partition. Tout ce beau monde est mené avec enthousiasme
par Riccardo Frizza, du moins durant le long premier acte où jamais la
tension ne faiblit. Le chef italien dirige avec fougue et conviction un
Orchestre National de Montpellier en grande forme. A noter l'excellence
des cuivres, les cors notamment, qui ont fort à faire dans cette oeuvre.
Au second acte, Frizza, qui semble moins concentré, se relâche
progressivement et bâcle, on l'a dit, la scène finale laissant au public
une impression mitigée après tant de splendeur vocale. Dommage.

Pour les amoureux de l'ouvrage signalons en guise de conclusion que les
24 et 27 août prochains Juan Diego Florez rechantera le rôle, toujours
en concert, à Salzbourg . La dame sera Ruth Ann Swenson... On en salive
déjà, d'autant que Barcellona sera aussi de la partie. En février 2003
la mezzo italienne incarnera Malcolm à Liège en compagnie de Rockwell
Blake. Au mois de mars, Ewa Podles lui succèdera pour la reprise de
cette production en Avignon... De belle soirées en perspective !

REVIEWS
La Donna del Lago, Montpellier, 23 July 2002


La Donna del lago, Forum Opéra
______________________________________________________________


Montpellier La Donna del Lago de Rossini
Jacques Duffourg, Concerto Net, July 2002

Gioacchino Rossini : La Donna del Lago (La Dame du Lac)
Livret d'Andrea Leone Tottola d'après Sir Walter Scott

Juan Diego Flórez (Giacomo/Uberto), Brigitte Hahn (Elena), Daniela
Barcellona (Malcolm), Gregory Kunde (Rodrigo di Dhu), Nicola Ulivieri
(Douglas), Karine Deshayes (Albina), Franck Bard (Serano, Bertram).

Choeurs de la Radio Lettone,
Orchestre National de Montpellier Languedoc Roussillon, Riccardo Frizza
(direction).

Spectacle en version de concert

Présentée comme l'un des moments forts du Festival de Montpellier 2002,
cette version de concert de La Donna del Lago aura mérité, pour le
moins, un accessit. Vocation même des lieux, la remise à l'honneur des
pans entiers de répertoire omis (à condition qu'il ne s'agisse pas de la
Symphonie de Wagner.) sied aux opere serie de Gioacchino Rossini. S'ils
sont plus familiers aujourd'hui que dans les années soixante, au moins
par leurs titres, aux oreilles des mélomanes ; on n'en fera jamais assez
pour les donner à goûter au plus large public possible, n'est-il pas
vrai ? René Koering offre au compositeur, dans l'Opéra Berlioz à
l'acoustique si parfaite, une distribution alléchante pour l'un de ses
opéras les plus originaux : on en salive d'avance. Gregory Kunde, en
effet, pratique avec prestance ce domaine depuis de longues années ; et
l'affiche comporte aux côtés de Brigitte Hahn - une habituée du festival
désormais, de Donizetti à Franz Schmidt - une paire majeure : Daniella
Barcellona... et Juan Diego Flórez. Les deux étaient de la série de
Pesaro 2001 (Barcellona remplaçant Podles au pied levé), aux côtés de
Mariella Devia et Charles Workman, dans la même oeuvre.

Inspirée de Walter Scott, adaptée par Tottola, cette Dame du Lac
présentée au San Carlo de Naples en 1819, contribuera, à la suite de
l'Élisabeth reine d'Angleterre de 1816 - même compositeur, même
théâtre - à lancer la «mode» de l'anglophilie dans la tradition du bel
canto «romantique». Beaucoup d'Élisabeth chez Donizetti, même en Sibérie
; de Pacini, on a un Ivanhoe ; chez Bellini, chantent des Puritains dits
(faussement) d' «Écosse». L'Écosse rossinienne, elle, est plausible - et
particulièrement bien troussée : point besoin de kilt pour y croire. Le
public parthénopéen dut même ressentir quelque tracas devant l'opulence
cuivrée (entre deux et six cors) d'un orchestre d'effectif raisonnable.
Très important : la prima donna Isabella Colbràn, maîtresse de Domenico
Barbaja l'impresario, comme de. Rossini, en créant Elena, devait déjà
amorcer son déclin ; car, quelque brillant et irrésistible que soit son
Rondo final célébrissime «Tanti affetti», sa partie est techniquement
modeste, et fort centrale. Au musicien de s'assurer la collaboration de
ses deux ténors fétiches, Davidde et Nozzari (du plus aigu au plus
barytonnant) ; et de s'embarquer non pour Cythère, mais vers les brumes
des Loch, et un univers forestier... aussi peu napolitain que possible.

Autre chose : The Lady of the lake de Sir Walter Scott a connu d'autres
adaptions en musique, dont une au moins a fait le tour du monde, pour le
meilleur et surtout pour le pire : l'Ave Maria de Schubert, troisième
des sept Ellens Gesänge. En outre, Tottola est allé grappiller des
inspirations connexes, non sans bonheur, chez James McPherson (Les
Poèmes d'Ossian - mais oui, ceux-là même de Werther.). Voilà donc une
position géoculturelle et historique des plus intéressantes. Mixte
(écossaise, nordique pour le moins, quant à l'inspiration - mais
techniquement italienne tout de même), l'oeuvre jouit d'une
orchestration soignée, riche, variée, au coloris très finement
septentrional. Tiens donc : deux années plus tard, un certain Carl Maria
von Weber «fondera» littéralement le genre de l' «opéra allemand» avec
Der Freischütz (guichets fermés, triomphe complet). C'est d'autant plus
troublant que bien des teintes wébériennes sont déjà présentes dans la
palette du peintre pésarais ; que les concertos de Weber - surtout pour
clarinette - sont les plus «rossiniens» que l'on connaisse ! Et enfin,
qui est l'un des pères fondateurs du grand opéra... français, sinon
Rossini lui-même, par le biais de Guillaume Tell ; dont la couleur
locale (helvétique cette fois) est en gésine dans le présent Loch pour
belle Hélène mélancolique ?

Le canevas n'est guère folichon. Il s'agit encore et toujours de
guerres, d'amours contrariées, de jalousies ; de frictions, d'exils et
de souverains cléments. Lieto fine de rigueur : pas l'essentiel, on s'en
doute. Par contre, la quasi-omniprésence du choeur, dont toutes les
ressources sont admirablement traitées, est une grande nouveauté
belcantiste. Elle marquera tellement les esprits du XIX° siècle, que
Stravinsky s'en souviendra encore pour son Oedipus Rex, sans doute, via
les Scènes de Faust de Schumann ! Un défaut : le déséquilibre entre les
deux actes, le premier étant près de deux fois plus développé que le
second. Pourquoi en avoir, dès lors, retranché la chanson «Aurora ! Ah
sorgerai» de Giacomo-Uberto, qui nous eût été susurrée par Juan Diego
Flórez ? Mystère programmatique. Peut-être un choix incompréhensible du
chef Riccardo Frizza, de qui l'on a reçu autant de caresses que de coups
de règle. Au crédit : une grande lisibilité des plans, une mise en
valeurs hors pair des cuivres ; ce qui n'est pas gagné d'emblée. On aime
aussi l'écoute portée aux artistes durant l'acte I, et une bonne
conduite du si retors crescendo rossiniano (cabaletta de Malcolm «O
quante lagrime»). Le Finale est splendidement équilibré. Parfait.
Pourtant, au retour des vestiaires, ce sportif de la baguette a des
démangeaisons de sprint ! On l'a dit, le II est déjà très court : c'est
ennuyeux de hâter les choses.

D'autant que cela va de pair avec une croissance du volume regrettable
(travail au décibel - la huitième plaie d'Égypte des maestri actuels),
ainsi qu'une grande sécheresse de battue (même remarque). Pire : des
chanteurs, et même les admirables choristes de la Radio Lettone en état
de grâce, en deviennent couverts. Pas de rémission, on est emporté à
marche forcée vers le Rondo conclusif, comme au commissariat. La
partition est littéralement expédiée : pulsation solennelle (et intime
pourtant) du début boutée hors du Corum, la floraison de tendresse
élégiaque dans «Fra il padre, e fra l'amante» devient un passage de
tondeuse à gazon. Difficile de finir davantage en queue de poisson, avec
ou sans lac. On a louangé les Chours lettons, habitués de Montpellier,
auteurs d'une véritable performance dans les passages de grâce (avec la
harpe) comme les envolées militaires ; parlons maintenant du plateau.
Star désormais reconnue et attendue de pied ferme, Juan Diego Flórez, en
roi Giacomo, vêt les oripeaux d'Uberto - en l'occurrence des habits de
fête ! La luminescence suave et virile du timbre, la projection sans
faille, la ductilité de la quinte aiguë ; la technique irréprochable, la
capacité à jouer un tant soit peu, même en concert. Tout ne fait que
confirmer le bien que l'on connaît déjà de lui en France (L'Italienne à
Alger, Falstaff, bientôt Cendrillon.). On retrouve bien sûr avec joie «O
fiamma soave», qui figure déjà dans son récital Decca pour l'île
déserte.

Ceux qui le découvrent s'enthousiasment à bon droit ; ceux qui le
connaissent bien, après cette ivresse promise et accordée, ont envie de
lui demander encore un petit effort de personnalité, d'émotion ; dans l'
émission parfaite, dardée - mais un poil monotone - de ses aigus, à
partir du si. C'est très difficile : nul doute qu'il y parviendra ! Si
son triomphe, archi-mérité, est somme toute logique, il y a d'autant
plus d'intérêt à s'attarder sur une mezzo encore peu connue chez nous ;
et qui a bien failli lui rafler la mise. Daniella Barcellona, très jeune
elle aussi, s'impose sans coup férir en Malcolm. Le timbre est beau et
égal sur une grande longueur de tessiture ; à cette homogénéité (qu'on
querrait bien en vain chez Von Stade, la Larmore actuelle - voire
Kasarova) s'ajoute une désinvolture épatante dans la technique. Souffle
long, messa di voce raffinée avec une puissance non négligeable : c'est
du caviar vocal, non sans évoquer une Valentini-Terrani en plus corsé.
Accordons-lui de surcroît une présence théâtrale, un investissement de
tous les instants dans un sourire confondant. Des aigus encore un peu
verts mûriront avec les ans : peut-être a-t-on, enfin, le mezzo héroïque
rossinien que l'on recherche - malgré Podles, Blythe, Genaux - depuis le
retrait de Marilyn Horne ? Très impressionnant, vraiment. Gregory Kunde
s'impose sans difficulté, en particulier dans son air terrible «Eccomi a
voi, miei prodi», véritable et crucifiante ébauche du «Terra amica» de
Zelmira. Certes, les aigus sont un peu tirés, et le moelleux bien terni
ne met que davantage en avant le caractère exceptionnel de son rival
péruvien dans Rossini. N'empêche, c'est bien mieux qu'honorable !

Même remarque pour Nicola Ulivieri (Douglas), se sortant très
correctement d'un air de basse coloratura à chausse-trappes, «Taci ! lo
voglio», dont Samuel Ramey fit nos délices. On repère avec plaisir la
triomphatrice du Concours des Voix Nouvelles 2002, Karine Deshayes, si
exquis marmiton dans la Rousalka de Bastille. et attendue à Garnier dans
Juliette ou la clef des songes de Martinu. Son petit rôle d'Albina est
tenu avec bien plus que de la classe ; de plus elle résiste à quelques
assauts bruyants de Frizza : bravo ! Est-ce parce qu'il joue les
utilités que Franck Bard se sent obligé de «faire la tête» toute la
soirée ?! Cela n'ajoute rien à une existence vocale proche du zéro. Mais
au fait, autour de qui tous ces personnages s'activent-ils ? Il existe
bien une Dame du Lac dans le titre, sacrebleu. Force est d'admettre avec
consternation que Brigitte Hahn s'y est noyée. Son problème numéro un
est une absence totale et irrémissible de charisme ; ce qui eût pu
rattraper le souci numéro deux, l'inexistence de la technique, dans une
vocalité ululante à partir du la. Ne parlons pas de l'ut ! Troisième
handicap : la laideur de la voix ; monochrome, mate, expressive comme un
ronronnement de machine-outil. Ce n'est pas tout : elle n'interprète
rien, cette Dame. Un roi se révèle à ses yeux (en principe) éblouis :
elle ne bronche pas plus que la Vénus de Milo. Duos, ensembles et Finale
du I sont déroulés comme la liste des commissions, vocalises «savonnées»
en prime. Le «Tanti affetti», caqueté dans le vide avec un air méchant,
mérite bien son titre : on ne pensait pas vivre tant de dures émotions,
en effet. Un gâchis unilatéral.

La Donna del lago
Dominique Vincent, Forum Opéra, July 2002

On ne saurait trop louer le Festival de Montpellier pour sa
programmation lyrique originale autant qu'audacieuse qui permet de
redonner leur chance à des oeuvres oubliées ou d'en faire entendre
d'autres trop négligées par les scènes internationales. La Donna del
lago appartient à cette seconde catégorie. Elle fut en effet exhumée en
1958 après un siècle d'oubli, par un autre festival spécialisé dans les
raretés, le Mai Musical florentin. Caballé la chanta en 1970 à la RAI.
Pesaro qui l'afficha dès 1981, la proposa en 1983 dans une distribution
proche de l'idéal ( Ricciarelli, Valentini-Terrani, Ramey...) sous la
direction de l'inattendu Pollini. Muti enfin la dirigea à la Scala en
1992 avec Anderson, Blake et Merritt. Ces deux dernières productions ont
fait l'objet d'intégrales officielles respectivement chez Sony et
Philips. C'est déjà beaucoup, mais insuffisant pour un ouvrage d'une
telle importance.

Rossini se doutait-il en composant ce chef-d'oeuvre qu'il jetait rien
moins que les bases de l'opéra romantique ? Par le choix du livret
d'abord : c'est le premier opéra à être tiré d'un texte de Walter Scott,
et l'on sait le nombre d'oeuvres lyriques que l'écrivain écossais devait
inspirer dans les décennies qui allaient suivre. Par le climat général,
évoquant paysages lacustres et montagnards, qui préfigure Guillaume
Tell. Par une orchestration extrêmement soignée et brillante faisant la
part belle aux vents et aux cuivres, les cors en particuliers : Le
Freischütz n'est pas loin. Par une richesse mélodique dont même Bellini
ne rougirait pas et enfin par l'importance accordée aux choeurs -
souvent guerriers et patriotiques - qui annoncent le Verdi de Nabucco et
des Lombardi.

Naples, on le sait, fut pour Rossini la ville de toutes les expériences,
ses partitions les plus novatrices y virent le jour. Là, il disposait
d'une troupe de chanteurs de haut niveau qui comportait, outre les deux
célèbres ténors Davidde et Nozzari, la prima donna Isabella Colbran,
future épouse du maestro. Le rôle-titre lui étant destiné, on imagine à
quel point il a bénéficié de soins particuliers pour mettre en valeur
les possibilités techniques et vocales de la cantatrice. Pour
l'incarner, le festival a fait appel à Brigitte Hahn, habituée des
lieux. Un choix consternant, la cantatrice ayant déjà montré in loco
dans Les exilés de Sibérie de Donizetti, en 1999, son absence
d'affinités techniques et stylistiques avec ce répertoire. A court de
graves, le timbre dépourvu de séduction s'altère dès le haut-médium, les
vocalises sont bien laborieuses, et la caractérisation de l'héroïne
plutôt sommaire. En outre, sur scène, la chanteuse semble s'ennuyer tout
au long de la représentation. Comment croire une seule seconde que ce
personnage sans attrait ni éclat puisse avoir à ses pieds trois
prétendants dont un roi ! Au premier acte ses "Mattutini albori" sont
bien grisâtres, et le rondo final est expédié manu militari par le chef
qui semble soudain pressé d'en finir et couvre par moment sans
ménagements son interprète.

Fort heureusement le reste de la distribution, d'un tout autre niveau,
allie le très bon à l'exceptionnel : la jeune Karine Deshayes, lauréate
du concours des Voix nouvelles 2002 , capte l'attention dans le
personnage épisodique d'Albina auquel elle prête la fraîcheur de son
joli timbre. Nicola Ulivieri ne saurait faire oublier Ramey, cependant
ses moyens solides et sa technique accomplie conviennent au rôle de
Douglas auquel il parvient à donner l'autorité et la noblesse requises.

Mais ce sont surtout les trois soupirants d'Elena qui sauvent la mise et
évitent, du moins jusqu'au rondo final, à cette Donna de sombrer corps
et bien dans le lac !

Dans le rôle de Malcolm où s'illustrèrent Horne, Valentini-Terrani et
Dupuy, Daniela Barcellona impressionne le public du Corum avec une voix
puissante au timbre riche et mordoré. Sa grande scène du premier acte
"Mura felici", interprétée avec conviction, déchaîne un enthousiasme
amplement mérité : les graves sont splendides et jamais appuyés, les
coloratures magistralement exécutées. Il lui reste encore à maîtriser un
aigu un peu raide par moment, pour lui conférer tout le moelleux
nécessaire. En attendant elle a déjà tout d'une grande !

Gregory Kunde se tire admirablement du rôle ingrat et crucifiant de
Rodrigo qu'il chante depuis plus de dix ans. Quelques aigus un peu tirés
dans le terrifiant récitatif de son air d'entrée "Eccomi a voi miei
prodi" et le léger voile déposé par les ans sur son timbre ne sauraient
entacher une interprétation de grande classe. La cavatine "Ma dov'è
colei che accende" est un modèle de chant legato d'une élégance rare.
Soulignons également le fair-play de l'artiste qui applaudit à tout
rompre son jeune rival péruvien.

Juan Diego Florez est en effet le grand triomphateur de la soirée : le
timbre lumineux et chatoyant exerce une séduction irrésistible, la
technique sans faille aucune lui permet de se rire de toutes les
embûches dont Rossini a parsemé un rôle écrit pour le grand Davidde.
L'aigu claironnant, plein, rond, et jamais forcé semble sans limite et
les nuances délicates dont il pare son air "O fiamma soave" laissent
pantois ! Ajoutons qu'il campe avec subtilité le rôle complexe d'
Uberto/Giacomo, à la fois amoureux transi et roi vainqueur et généreux.
Avec un tel artiste, on se prend à regretter que Rossini n'ait pas
destiné le rondo final à ce personnage!

Saluons la belle prestation des choeurs de la Radio Lettone, habitués
du festival, dans les interventions nombreuses et souvent complexes que
leur réclame la partition. Tout ce beau monde est mené avec enthousiasme
par Riccardo Frizza, du moins durant le long premier acte où jamais la
tension ne faiblit. Le chef italien dirige avec fougue et conviction un
Orchestre National de Montpellier en grande forme. A noter l'excellence
des cuivres, les cors notamment, qui ont fort à faire dans cette oeuvre.
Au second acte, Frizza, qui semble moins concentré, se relâche
progressivement et bâcle, on l'a dit, la scène finale laissant au public
une impression mitigée après tant de splendeur vocale. Dommage.

Pour les amoureux de l'ouvrage signalons en guise de conclusion que les
24 et 27 août prochains Juan Diego Florez rechantera le rôle, toujours
en concert, à Salzbourg . La dame sera Ruth Ann Swenson... On en salive
déjà, d'autant que Barcellona sera aussi de la partie. En février 2003
la mezzo italienne incarnera Malcolm à Liège en compagnie de Rockwell
Blake. Au mois de mars, Ewa Podles lui succèdera pour la reprise de
cette production en Avignon... De belle soirées en perspective !

This page was last updated on: August 30, 2002