Juan Diego Florez entre séduction et virtuosité Serge Martin, Le Soir (Belgium), 13 February 2002 Juan Diego Florez entre séduction et virtuosité En cinq ans,ce ténor péruvien a atteint le firmament du chant rossinien Au Festival Rossini de Pesaro, il fait littéralement fureur. Désormais sa carrière s'articule autour des plus grandes maisons d'opéra: de Vienne à Milan, du Met' à Covent Garden. Juan Diego Florez sort aujourd'hui son premier disque en récital. Au programme: Rossini évidemment, avec en prime l'accompagnement savoureux de Riccardo Chailly. Comment avez-vous débuté au festival de Pesaro? C'est un incroyable coup de chance. Lorsque j'étudiais le chant au Curtis Institute de Philadelphie, j'avais passé une audition pour participer à l'Académie qui se tient en parallèle du Festival de Pesaro. Ses responsables m'avaient d'emnblée engagé pour un petit rôle. Et puis soudain, le ténor qui devait assurer la recréation de "Mathilda di Shabran" est tombé malade. Personne ne connaissait le rôle: on m'a demandé de le préparer en quelques jours et ce fut immédiatemment le succès. Les demandes ont commencé à pleuvoir: un mois plus tard, je chantais "Armida" à la Scala. Un rythme qui ne s'est plus ralenti: j'ai aujourd'hui un agenda qui me mène jusqu'en 2005. Croyez-vous qu'il faille une préparation spéciale pour chanter les rôles de ténor rossinien? Il faut en tout cas disposer d'une technique impeccable. C'est elle qui vous donne la liberté de vous sentir à l'aise et sans cette sécurité, ce répertoire est casse-cou. J'ai eu la chance de travailler trois ans à Philadelphie avec un grand ténor rossinien Ernesto Palacio. C'est lui qui m'a fait comprendre que j'étais fait pour ce répertoire. Au Curtis Institute, nous devions en outre participé au montage de spectacles, ce qui fait que je suis arrivé à Pesaro en ayant déjà chanté sur scène "Le barbier de séville" et le "Voyage à Reims". un bagage irremplaçable. Quelles sont les difficultés typiques de ce type de voix? La principale exigence est avant tout de combiner une série d'exigences très différentes. Pour beaucoup de gens, un ténor rossinien est d'abord quelqu'un capable de lancer des notes suraiguës. Elles appartiennent bien sûr à ce type de rôle mais ne sont pas un objectif en soi. Un ténor rossinien, c'est d'abord une conjonction de la colorature, du phrasé et du son. La virtuosité exigée est redoutable: elle implique aisance et flexiblité, une variété d'attaques des notes et de leur vitesse de déroulement, notamment dans la capacité de balayer très vite l'espace existant entre le grave et l'aigu et réciproquement. Mais il faut aussi retrouver la velouté soyeux d'un legato et conserver au son une émission naturelle. Si le chanteur se sent confortable malgré les efforts qu'il fournit, le public est immédiatemment gagné par le plaisir. Sinon, il ne sent plus que l'effort et s'ennuie. Et la couleur? C'est fondamental. Le bel canto est toujours une question de couleurs: avec une alternance permanente entre l'ombre et la lumière. Mais c'est à l'interprète de définir ce qu'il souhaite, avec un zeste d'improvisation qui insinue l'imprévu au coeur d'une interprétaton. Ce n'est évidemment possible qu'en compagnie de chefs suffisamment attentifs et flexibles. Travailler avec Chailly fut sur ce plan un réel bonheur: il n'a pas son pareil pour susciter dans l'orchestre les couleurs qui répondent à celles de votre chant. Envisagez-vous de guider votre voix vers d'autres répertoires? Comme compositeur, Rossini joue certainement un rôle de pivot: "Semiramide" nous conduit directement au théâtre de Donizetti et la "Donna del lago" annonce déjà le jeune Verdi. Je préfère néanmoins me consacrer pour l'instant au bel canto romantique qui est mon vrai territoire. Il inclut bien sûr également Bellini. Edgar de la "Somnambula" est un des mes rôles fétiches: je l'ai chanté à Vienne et vais le reprendre dans quelques semaines à Covent Garden. L'opera seria du XVIII e convient également à ma voix mais il réservait ses plus beaux airs aux castrats. En fait, je compte consacrer 50 % de mon temps à Rossini et le reste à des rôles de ténor léger: "Gianni Schicchi", "Falstaff", "Mithridate" de Mozart ou le "Chapeau de paille d'Italie" de Nino Rota. Que pensez-vous de la mélodie italienne? C'est un répertoire injustement justifié. Si Testi était allemand, tout le monde le chanterait comme Schubert. Verdi le tenait d'ailleurs en grande amitié. Après tout, c'est Chopin qui nous a expliqué au piano ce que signifiait vraiment un arioso. Alva, Palacio, Florez, existe-t-il une filière péruvienne de ténors rossiniens? La musique péruvienne que je chante de temps en temps en récital a certainement un appétit pour les belles voix et la couleur qui sont à la base des exigences de ce répertoire. Le reste est surtout une question de travail: sans lui on ne peut atteindre la liberté qui donne l'aisance. Et il sa fait que Palacio, qui est liménien tout comme moi, était à ce titre un prodigieux professeur. |
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