REVIEWS Romeo et Juliette (concert performance), Salzburg, August 2002
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'Roméo et Juliette' smooth feathers David Murray, The Financial Times, 27 August 2002
After the rebarbative rigours of Salzburg's new Turandot, and its ruinously cack-handed treatment of Strauss's Die Liebe der Danae, a plain concert-performance of Gounod's modest Roméo et Juliette came like balm. Though it was a frank showpiece for the famous Alagnas, the tenor Roberto and his soprano wife Angela Gheorghiu in the title roles, which is why it could expect to sell out the Grosses Festspielhaus without the bonus of any staging, nothing musical had been stinted. All 10 of the lesser roles were cast from strength, the Staatsoper chorus had been scrupulously rehearsed, and Bertrand de Billy conducted the Vienna Radio Symphony in perfect style, tingling or tender as required.
Gounod's Roméo is a period piece, but not to be sneered at on that account. It stands to its Shakespearean original rather as Charles Lamb's Tales from Shakespeare do, like painless, sanitised versions of the Bard for literate children; but plenty of good operas are of that ilk. The salient question is only "does the opera capture the spirit and the drift of the original text?".
Gounod's version was scripted by those old pros Jules Barbier and Michel Carré, mostly in short, rhyming lines. Shakespeare's rhapsodic speeches are reduced to clichés, but his plot is carefully respected. Granted, that is, the usual 19th-century tics - not exclusively French: there had to be alively, crowd-pleasing breeches-role added, and a showy waltz-song for Juliette, and everybody wanted Roméo to live long enough for a full-hearted duet with her in the crypt before they both expire.
Gounod knew that score well, and any keen ear will detect Berliozian fingerprints in the central love-scenes. In the principal duet, there's also a dark, soul-stirring modulation stolen directly from the "Nuit d'ivresse" of Les Troyens. But Gounod's harmonies are otherwise tame and well-behaved; his special talent was for writing grateful music for particular voices, in decently dramatic modes.
The Alagnas were perhaps not quite ideal for this opera. Roberto sang nothing but full-out, uninflected forte for the first three acts; while Gheorghiu's startling range of vocal colour and shading compromised Juliet's dewy innocence from the start. But she captivated us all the way through with fresh musical imagination and sudden subtleties; and in the final scenes Roberto suddenly broke into a new, expressively dramatic vein that lent him a strong, affecting persona just in time.
Roberto Scandiuzzi sang a ripe Friar Laurence, Manuel Lanza a suave-but-fiery Mercutio, and Philippe Rouillon a blunt, richly definitive Capulet. The dangerously excitable Tybalt was Paul Charles Clarke, fresh from his ringing Edinburgh performance in Donizetti's Maria Stuarda. The invented breeches-role of Stéfano, a "page" with a strong line in cabaret, was taken with infectious relish by the mezzo Daniela Barcellona. De Billy balanced their disparate contributions with assured skill, making them all carry their weight in this roundly satisfying Roméo.
Romeo et Juliette, Salzburg festival Edward Greenfield, The Guardian, 27 August 2002
When the Salzburg festival announced that it had persuaded the starry husband-and-wife team of Angela Gheorghiu and Roberto Alagna to sing favourite roles as hero and heroine in Gounod's Romeo et Juliette, there were fears that in the grand setting of the Grosses Festspielhaus they would fail to live up to their reputation. Not so. The opera was a success, with Gheorghiu dominating the occasion musically and artistically from her opening coloratura waltz-song onwards.
If this repertory made her feel at home, it is even more comfortable for Alagna, a French-speaking Corsican [sic]. Where recently his golden tenor has shown some signs of strain, here, in his native language, he blossomed, matching Gheorghiu in the tenderness and imagination of his exchanges. As he later said: "When we are performing together, we don't have to pretend." Uninhibited as the pair were, the truth of his statement was clear. It added to their success that this surprisingly neat adaptation of Shakespeare was centred on the pair of lovers, making the five acts feel like an extended duet with all the other sub-plots reduced to a minimum.
The conductor, Parisian Bertrand de Billy, proved a near-ideal choice: like Alagna, he was attuned to the repertory. As the newly nominated music director of the Austrian Radio Orchestra in Vienna, he drew from his players ravishing string tone and delicately affectionate phrasing throughout. Too often at the Salzburg festival this underestimated orchestra seems to be playing the role of poor relation to the Vienna Philharmonic. Yet here they matched and outshone that great resident orchestra, which on the next day failed to respond in anything like the same way to this same conductor in Mozart's Die Zauberflöte.
Among the other soloists, the most striking performance came from the exuberant mezzo, Daniela Barcellona, in the non-Shakespearean role of Romeo's page, Stefano. In her singing, rich and firm in her all-too-brief solo, she was splendid, a newly commanding figure.
Une opération de marketing Christian Merlin, Le Figaro, 26 August 2002
Les festivaliers de Salzbourg ont assisté à une interprétation malheureuse de «Romeo et Juliette» par Angela Gheorghiu et Roberto Alagna.
A l'opéra, parfois, l'enfer, c'est les voisins. Il faut pourtant les écouter. Les miens, l'autre soir, au Grand Festspielhaus de Salzbourg, se réjouissaient de voir un opéra en version de concert et préconisaient l'élimination des metteurs en scène. Soit. Mais, avait-on envie de répondre, si c'est pour s'ennuyer ainsi au Roméo et Juliette de Gounod, merci ! Non seulement c'est oublier que l'opéra, c'est du théâtre en musique, mais la partition de Gounod n'est pas assez riche pour supporter ce traitement pendant toute une soirée. Et puis à quoi rime une version de concert où certains jouent (timidement) et où d'autres restent scotchés à leur pupitre ?
A l'entracte, le sujet de conversation de mes voisins avait changé. Sur le ton sentencieux du public philistin, qui n'a pas déserté Salzbourg, la phrase fatidique tombe : « Le français ne se prête pas bien au chant. » Oh que si, Madame, Monsieur, s'il est bien chanté ! Si, en revanche, la distribution réunie n'a aucune notion du style et de la langue, il est clair que c'est perdu d'avance. Dès la Ballade de Mercutio chantée par le baryton Manuel Lanza, on sait que c'est du volapük que l'on va entendre en lieu et place du français. Cela tourne au comique involontaire avec le Stefano de la pauvre Daniela Barcellona, égarée dans un style dont elle ignore tout, et qui met un tel aplomb à ne rien comprendre à ce qu'elle chante, que c'en est presque touchant. Le public, lui, exulte. Le Tybalt de Paul Charles Clarke chante du nez et de la gorge - c'est de l'ORL qu'il relève ! -, et si Roberto Scandiuzzi avait il y a dix ans le matériau pour succéder à Pinza et Siepi au sommet de l'Olympe des basses italiennes, son Frère Laurent est aujourd'hui bien pâteux et fatigué. Seul hormis le ténor vedette à sauver l'honneur de la francophonie, Philippe Rouillon prononce bien son texte, mais son chant grossier et stentorien gâche tout.
Mais qu'importe ? Le public se soucie peu de Roméo et Juliette, il est venu entendre Alagna et Gheorghiu. A elle, on pardonne un texte qui n'est intelligible que sporadiquement et quelques accents véristes déplacés : la séduction de son timbre agit de toute façon. Avec lui, on est tenté d'être plus sévère. C'est qu'il craint moins la concurrence des autres ténors que la confrontation avec son propre passé. Est-il encore un Roméo, jadis son plus beau rôle ? La diction et l'ardeur sont toujours là. Son tendon d'Achille spectaculairement rompu à Orange semble guéri, mais, dans une salle fermée, on remarque trop qu'il veut ressembler à Franco Corelli plus qu'à Georges Thill : dans Verdi, pourquoi pas, dans Gounod, c'est malheureux. La voix n'a plus la fraîcheur d'antan et la mezza voce est détimbrée. Quant à leurs cabotinages, ils n'apportent rien à leur art. Qu'il craque son aigu à la fin du troisième acte, qu'importe, cela arrive à tout le monde. Mais qu'il revienne de la coulisse et hurle l'aigu récalcitrant à la face du public pour montrer qu'il est capable de le sortir, c'est du dernier mauvais goût, que l'on espérait révolu depuis Del Monaco dans les années 50. L'opéra a évolué.
A moins de quarante ans, Bertrand de Billy, l'un des chefs français qui travaillent le plus à l'étranger, fait très honnêtement son travail de chef lyrique, même si l'Orchestre de la Radio autrichienne, dont il est directeur musical, n'a pas les couleurs et la subtilité du Capitole de Toulouse avec Michel Plasson. La palme du chant le plus stylé revient donc à l'admirable Choeur de l'Opéra de Vienne et à la jeune basse allemande Georg Zeppenfeld, en troupe à Dresde, et qui prononce les quelques répliques du Duc avec une diction et une classe qui auront globalement fait défaut à une soirée plus dévouée au marketing d'un couple de stars qu'à la défense de l'opéra français.
Roberto Alagna et Angela Gheorgiu en amants de Vérone Marie-Aude Roux, Le Monde, 27 August 2002
Un "Roméo et Juliette" de prestige en version de concert.
Salzbourg de notre envoyée spéciale
Ils sont toujours aussi terribles, Roberto Alagna et Angela Gheorghiu, si éclatants de vie et de présence qu'ils en feraient presque oublier cet exercice de style rébarbatif qu'est l'opéra en version de concert, et qui, pour n'avoir rien à se mettre sous la dent scéniquement, ne pardonne rien à la musique. Cinq actes du Roméo et Juliette de Gounod, même quand on connaît son Shakespeare sur le bout des doigts et qu'on peut en fredonner bon nombre d'airs, cela ne peut manquer de paraître un peu longuet. Peu de choses à reprocher pourtant à l'Orchestre symphonique de la Radio de Vienne ; à peine quelques billevesées de mise en place, ne serait une certaine placidité de souffle, laquelle n'est pas manque d'engagement, et tient à la direction assez rhétorique de Bertrand de Billy, par ailleurs remarquable accompagnateur des voix. Que des compliments à adresser aux Chours de l'Opéra de Vienne, dont la contribution aussi bien à la musique qu'à la dramaturgie s'avère ici fondamentale.
Sans être exceptionnelle, la distribution est de très bon niveau et se sort avec honneur du péril de chanter en français. Du côté des Capulet, le Pâris de Markus Eiche (voix bien timbrée) a une fâcheuse tendance à lâcher ses voyelles mais le Tybalt de Paul Charles Clarke, bras armé des Capulet contre Roméo, ne ménagera pas une voix puissante quoique manquant d'homogénéité dans l'aigu. Campé par un Philippe Rouillon à la diction impeccable et à l'autorité naturelle (encore que la nuance ne soit pas son fort), Capulet, quant à lui, ne craint nul coup du sort, pas même la mort de sa propre fille. Seul personnage porteur d'humanité et de tendresse, Katharine Goeldner (Gertrude) est une nourrice des plus complaisantes.
Dans le clan des Montaigu, il y a d'abord l'ami de toujours, Mercutio. Manuel Lanza lui prête une certaine prestance physique et vocale qui lui vaudra un beau succès dans la Ballade de la reine Mab. Mais l'ensemble manque encore de projection et parfois de netteté. Quant à Daniela Barcelona, travestie en Stefano, garçonnet censé incarner en version infantile toute la morgue des Montaigu (une sorte de Roméo miniature), difficile de ne pas sourire en voyant s'avancer une houle en robe rouge aux formes généreuses. Mais la voix est puissante, le timbre séduisant, et la belle habile à s'en servir : sa chanson provocante ira droit au but, ravivant la haine des Capulet, ravissant le cour du public.
UN AIGU ARRÊTANT NET LES HUÉES
On passera rapidement sur un Frère Laurent curieusement amorphe, incarné par Roberto Scandiuzzi - pas besoin de breuvage pour endormir Juliette, la voix grave, uniforme, et pleine de componction, y eût suffi -, pour signaler un duc de Vérone bien tenu par un Georg Zeppenfeld à la voix timbrée et au français intelligible. Ce qui n'est hélas toujours pas le cas d'Angela Gheorghiu. Péché véniel ? Oui, car la voix est somptueuse, particulièrement dans le mezza voce du médium, même si l'on peut regretter d'inutiles affectations dans l'interprétation d'un rôle qui demande avant tout juvénilité et passion. Ce qu'Angela possède au plus haut point, réussissant à composer, en quelques allers-retours de jardin à l'avant-scène, un vrai personnage d'opéra.
Il faut dire que Roberto Alagna est un soupirant qui ne manque pas d'arguments, quand bien même la voix donnera peu à peu, ça et là, quelques signes de fatigue (médium parfois détimbré et notes tenues manquant de soutien). Chez Roberto, il y a Roméo l'amoureux, mais aussi toute la fierté vindicative d'un Montaigu : mécontent de son aigu imparfaitement projeté à la fin du troisième acte, Alagna profitera des saluts pour le lancer à nouveau à pleine voix, couvrant les applaudissements et arrêtant net les quelques huées du fond de salle. Du jamais vu à Salzbourg.
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