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La Boheme, Opéra Bastille, Paris, November 2001

«La Bohème», comme au bon vieux temps, Le Figaro
Une "Bohème" bonifiée reprend en beauté le chemin de l'Opéra-Bastille, Le Monde
Une bohème seigneuriale, Altamusica
Séance de gymnastique, Altamusica
«La Bohème», un air de fête, Libération
La Bohème, Forum Opéra
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«La Bohème», comme au bon vieux temps
Christian Merlin, Le Figaro, 13 November 2001

Un homme, une femme et deux voix parfaites. L'Opéra de Paris réunit
ainsi pour la première fois à Bastille Roberto Alagna et Angela
Gheorghiu. Tous deux interprètent Rodolpho et Mimi dans l'opéra de
Puccini, mis en scène par Jonathan Miller et dirigé sous la baguette de
Daniel Oren.

C'est toujours la même chose. On la connaît par cour, cette histoire. Et
pourtant, ça recommence: on a beau savoir que Mimi va mourir, la boule
gonfle dans la gorge et les larmes montent aux yeux. Mais comment en
serait-il autrement avec une telle distribution ? Il y a trente ans,
Rodolphe et Mimi, c'étaient Pavarotti et Freni. Aujourd'hui, ce sont
Alagna et Gheorghiu. On n'imagine pas quels chanteurs aujourd'hui
uniraient à ce degré rayonnement vocal et popularité, avec en outre une
complicité aussi grande à la scène qu'à la ville : c'est le rare plaisir
que l'Opéra de Paris s'est offert en réunissant les médiatiques époux
pour la première fois sur la scène de la Bastille.

Ce n'était certes pas gagné d'avance. Les signes d'une crise vocale
inquiétante avaient altéré plusieurs prestations de Roberto Alagna la
saison dernière. Ce n'est apparemment qu'un mauvais souvenir, car le
ténor a retrouvé en Rodolphe toute la lumière d'un timbre juvénile et
clair, gorgé de soleil latin, qui se projette avec un naturel
irrésistible. Dans cette forme-là, il est imbattable. Angela Gheorghiu
avait tenté sans succès de nous convaincre qu'elle était une belcantiste
et n'était arrivé qu'à nous décevoir dans un répertoire romantique dont
elle ne possédait pas les clés. La revoici dans son univers privilégié,
le vérisme : le charme et la sensualité de sa voix s'épanouissent à
nouveau, presque insolemment pour une phtisique, mais qui se plaindrait
que la mariée est trop belle ? Quels que soient les mérites de la Tosca
filmée en salles demain, c'est là qu'est la vérité de l'opéra : dans la
sensation physique de voix magiques qui se déploient dans une salle.

Il faut dire que tout est fait pour que nos deux vedettes puissent faire
étalage de leurs atours. Le chef israélien Daniel Oren, habitué des
fosses transalpines, dirige à l'ancienne, comme à l'époque où la
baguette était au service des chanteurs : il n'hésite pas à ralentir
pendant les airs pour favoriser les épanchements, et c'est lui qui
attend les solistes au moment des points d'orgue et des fluctuations de
tempo. On peut préférer direction plus serrée, plus «tenue», mais ce son
d'orchestre ventru, ce rubato, ce sens de l'effusion, ont quelque chose
de spécifiquement italien que l'on n'est plus habitué à entendre de nos
jours et qui nous a fort agréablement dépaysés.

N'oublions cependant pas que nos deux tourtereaux sont loin d'être seuls
! Les comparses sont de grande qualité, notamment le Colline très sobre
d'Erwin Schrott, mais surtout nos deux jeunes barytons français, Ludovic
Tézier en Marcel et Stéphane Degout en Schaunard, qui rivalisent de
style et de crédibilité. Seule la Musette d'Elena Evseeva passe à côté
de son personnage : la voix est trop lourde, le jeu vulgaire et sans
piquant. La production années 30 de Jonathan Miller, reprise depuis
1995, restera l'une des grandes réussites de l'ère Gall : l'exemple même
d'une mise en scène qu'un théâtre peut garder à son répertoire sans
craindre qu'elle vieillisse.

Une "Bohème" bonifiée reprend en beauté le chemin de l'Opéra-Bastille
Marie-Aude Roux, Le Monde 17 November 2001

LA BOHÈME, opéra en quatre tableaux de Puccini. Avec Angela Gheorghiu
(Mimi), Roberto Alagna (Rodolfo), Elena Evseeva (Musetta), Ludovic
Tézier (Marcello), Erwin Schrott (Colline), Stéphane Degout (Schaunard),
Michel Trempont (Benoît), Jonathan Miller (mise en scène), Maîtrise des
Hauts-de-Seine, Chours d'enfants, Orchestre et Chours de l'Opéra
national de Paris, Daniel Oren (direction). OPÉRA-BASTILLE, le 14
novembre à 19 h 30.

Cette Bohème entrée à l'Opéra-Bastille en décembre 1995 dans la nouvelle
production de Jonathan Miller est de celles qui vieillissent bien. Ni
moderniste ni scandaleuse, elle a subi une lente bonification. On
retrouve donc comme une vieille connaissance ce Paris des années 1930,
tout encanaillé d'artistes en mal de gloire et de grisettes en mal
d'amour. Les beaux décors soignés de Dante Ferretti dégagent toujours
leur parfum de nostalgie, tandis que la mise en scène de Miller, entre
humour et poésie, intimisme et distanciation, contrepointe le drame tiré
des Scènes de la vie de bohème de Henry Murger.

Sous la direction vive et précise de Daniel Oren, l'Orchestre de l'Opéra
épouse les moindres contours de la tragédie puccinienne avec une
compassion exempte de toute sensiblerie. Bon point général pour la bande
des amis de Mimi et Rodolfo : pour le Marcello de Ludovic Tézier, pour
Stéphane Degout en Schaunard plein d'abattage - on suit avec intérêt la
carrière de ce jeune artiste révélé notamment par le Festival
d'Aix-en-Provence - et l'émouvant Colline d'Erwin Schrott dans le beau
"du vieux pardessus". Quant au couple Gheorghiu-Alagna (qui crève
actuellement les écrans dans le film La Tosca, de Benoît Jacquot), il
est tout simplement magnifique. Le tempérament naturel et passionné du
ténor est ici dans son élément. Qu'importe que la voix parfois manque de
stabilité ou pousse les aigus. Angela Gheorghiu est prodigieuse de
timbre, de ligne, d'expression et de musique. C'est une très grande
Mimi.

Dans les moments d'amour, il faut entendre comme leurs voix s'enlacent,
superbes de retenue et de ferveur, amants par la musique : la scène
finale est un pur moment de beauté. Seule ombre au tableau, vite
dissipée, la Musetta d'Elena Evseeva à la voix et aux intonations trop
chaloupées, une Musette comme le bal du même nom. Mais grandie et sauvée
théâtralement et vocalement au final par la bonté de son cour et sa
dignité simple.

Nul doute que le public "tauromachique" de cette soirée réservée aux
membres de l'Association pour le rayonnement de l'Opéra de Paris en a eu
pour ses fourrures, ses bijoux et ses grands couturiers. En décembre,
avec un public sans doute plus "bohème", il ne faudra pas manquer
d'aller écouter le jeune et talentueux chef d'orchestre français
Stéphane Denève dans le chef-d'ouvre puccinien.

Une bohème seigneuriale
Françoise Malettra, Altamusica, 10 November 2001

Question : le public va-t-il voir à l'Opéra Bastille La Bohème de
Puccini, ou La Bohème selon Angela Gheorgiu et Roberto Alagna, le couple
( à la ville comme à la scène) le plus convoité des directeurs de
maisons d'opéra, celui qui - dit-on - conduirait à l'art lyrique les
plus irréductibles, et drainerait les foules non encore converties dans
leur sillage de lumière ?

La réponse est évidente : ce sont eux les vainqueurs, qui n'ont pas
ménagé leurs efforts, ni leurs apparitions (soigneusement orchestrées
par leurs agents) pour s'installer en haut de l'affiche et ne pas en
bouger, avec les meilleurs arguments du monde pour le faire : leur
jeunesse, leur charme, et. leurs voix d'or.

Bien sûr qu'Angela Gheorgiu est une Mimi dont un homme tomberait
facilement sous le charme au premier regard. Bien sûr que Roberto Alagna
est un Rodolfo plus que séduisant, dont on comprend aussi la jalousie.
Bien sûr que l'on ne comprend pas pourquoi ils se quittent, quand on
sait qu'elle en mourra. Alors pour quelles raisons est-on si peu
bouleversé par leur si pathétique histoire ?

Essayons de faire le point : Angela est bien une de ces créatures
fragiles et fortes à la fois, victime toute désignée, comme les aime
Puccini. Elle possède un timbre magnifique, une ligne de chant
impeccable, des accents à la Maria Callas exactement là où il convient.
Alors ?

Roberto a bien l'allure d'un poète maudit, ou presque, qui partage en
bon camarade une joyeuse misère avec Colline, le philosophe, Marcello,
le peintre, et Schaunard le musicien (un pour tous, tous pour un !).
Peut-être donne-il trop souvent de la voix ? Il est vrai qu'il en a
tellement, et qu'elle est si belle. Mais en fin, il y a des moments d'
extase dans l'opéra où un peu plus de douceur ne nuirait pas.

Musette, l'amie volage mais au grand cour ? Disons-le franchement :
scéniquement, on n'y croit pas un seul instant, et trop peu vocalement.
Marcello, Colline, Schaunard ? Ils sont tous les trois excellents, donc
pas en cause. Dans ce cas, il faut bien se résoudre à regarder du côté
de l'orchestre et se dire que Puccini y était singulièrement absent. Et
c'est pourtant là que tout se joue.

Dans la musique de ce mélodiste de génie, certes, mais aussi dans son
orchestration qui libère et soulève des flots de musique, avec une
inspiration qui ne faiblit jamais, et une science harmonique à laquelle
une partie de la génération des compositeurs ne cesse aujourd'hui de
rendre hommage.

Visiblement le chef Daniel Oren n'y est pas particulièrement sensible.
Il se contente d'accompagner les chanteurs, sans doute pour les mettre
en beauté plus encore (ce qu'ils savent déjà très bien faire), en les
laissant à eux-mêmes non sans les mettre en danger : des attaques
périlleuses, des notes aiguës interminablement tenues, comme autant d'
arrêt sur l'image complaisamment accordée, des reprises incertaines.

Bon, mais après tout, on ne peut pas pleurer à toutes les Bohème. Après
tout, on assiste à une exposition-démonstration de voix superbes, dans
une mise en scène sagement réaliste (pardon, il faut dire " vériste ").
On se voit épargné de l'atelier d'artiste glauque, auquel on accéderait
par un praticable en acier seulement trempé par la rouille, où à une
ruelle du Quartier Latin éclairé par le plus blafard réverbère. Pas de
quoi sortir d'humeur chagrine de cette Bohème pour voix seigneuriales.

Séance de gymnastique
Eric Sebag, Altamusica, 7 November 2001

On a dit dans ces colonnes la gratuité de la transposition chronologique
de cette mise en scène de La Bohème signée Jonathan Miller. Mais, après
qu'Angela Gheorghiu ait confessé au quotidien anglais Daily Telegraph
que, avant une représentation, elle ne reculait pas devant une séance de
gymnastique biblique avec son Roberto de mari (1), pour se détendre, on
se doute que le public s'est pressé si nombreux d'abord pour ouïr le
couple vedette.

Allaient-ils se frôler du legato, se caresser des cordes vocales, s'
étreindre du contre-ut et autres postures lascives voire impudiques ?
Oui bien sûr, et même plus encore.

Et tant mieux si cela constitue le principal ressort du spectacle, car
Roberto Alagna ne brille pas d'un talent d'acteur inné : il marche
souvent comme s'il portait une charge de ciment invisible et n'hésite
pas à deviser par mimiques interposées avec son épouse sur la scène. Lui
rappelle-t-il qu'elle a oublié d'acheter des toasts pour le
petit-déjeuner ? On compte sur la presse spécialisée pour décrypter.

En tant qu'actrice, Madame Alagna possède un plus haut potentiel que son
conjoint. Mais ici, la direction d'acteur ne l'aide pas. Dans le premier
tableau, elle semble mimer son rôle comme les acteurs de cinéma du muet
qui se mettent la main au front, ou font de grands gestes pour mieux
souligner leurs sentiments. Ailleurs, elle chante de longues minutes
plantée comme une marionnette sans fils.

Au disque le couple Alagna a signé l'une des récentes versions de
référence de cette Bohème, avec la complicité inspirée du chef Riccardo
Chailly. À cette aune, on risque à Bastille quelques chagrins, mais pas
tant par la faute du plateau vocal, dans l'ensemble sans faiblesse, que
d'une voix essentielle qui ne tient pas son rôle, celle de l'Orchestre.

Dans Puccini mieux qu'aucun compositeur dit " vériste ", la partie
orchestrale à la fois porte, répond, enveloppe, et colore les voix en
les doublant. Ici, le chef Daniel Oren connaît certes son métier, mais
il prépare les notes aiguës des chanteurs comme on tend un filet à qui
doit sauteur du 5e étage, joue au plus simple quant à la recherche des
couleurs et manque complètement l'éclat du deuxième tableau ; sans
compter des décalages qui ne seront aplanis que bien tardivement.

Reste donc un plateau vocal au sein duquel on peut distinguer la
vaillance des barytons Ludovic Tézier et Stéphane Degout ainsi que la
justesse de caractère de la basse Erwin Schrott. Alagna lui aura mis
vingt minutes à se chauffer, et s'il n'est pas au meilleur de sa forme,
sa voix dorée et radieuse garde ce " sex-appeal " immédiat, qui a dû
éveiller la pâmoison dans la salle, bien au-delà de sa seule moitié.

Si la Mimi de cette dernière est loin d'égaler dramatiquement l'
incarnation de Leontina Vaduva sur cette même scène, Gheorghiu possède
une technique plus sûre, un timbre très homogène qui se désunit à peine
dans les notes les plus graves et des aigus toujours aussi chatoyants.

Donc, à la condition expresse de ne surtout pas avoir (ré)écouté l'
enregistrement Chailly (Decca) juste avant la représentation, et de
faire abstraction des importuns (Oren et Miller), venir entendre le duo
Alagna-Gheorghiu en pleine séance de gymnastique est un bonheur simple
qu'aucun spectateur d'art lyrique ne saurait se refuser.

«La Bohème», un air de fête
Eric Dahan, Libération, 9 November 2001

Le timbre mordoré et lumineux d'Alagna, le souple legato de Gheorghiu
qui fait frémir l'aigu du soupir et fondre le grave capiteux.

La Bohème Opéra en quatre tableaux de Giacomo Puccini, livret de
Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d'après le roman de Henry Mürger
«Scènes de la vie de Bohême», orchestre et chours de l'Opéra-Bastille,
dir. Daniel Oren,m.s. Jonathan Miller Les 11, 14, 20, 24 et 27/11à
l'Opéra-Bastille (complet). En direct sur France Musiques le 24/11 à
19h30.

Depuis mercredi soir, c'est déjà Noël à Bastille. Plus une place à
vendre depuis des semaines pour les six représentations de la Bohème. Le
public parisien a fait un triomphe mérité à Angela Gheorghiu et Roberto
Alagna, couple superstar dans le tube de Puccini. Hugues Gall se
méfiait-il de la réputation de divas égomaniaques des deux chanteurs,
entretenue par les médias au moment de leur engagement au Met de New
York? Les prétentions de leur agent Levon Sayan étaient-elles, comme on
l'a aussi entendu, si exorbitantes? On avait pu juger des qualités
vocales et dramatiques de la soprano roumaine dans la Traviata de
Bastille. Mais que ce soit via les disques ou les captations télévisées,
on savait qu'il se passait quelque chose de fabuleux quand elle chantait
dans les bras de son mari, baptisé un temps le «quatrième ténor». Et
quel meilleur ouvrage que la Bohème pour ce duo charismatique (sur les
écrans le 14 novembre dans Tosca de Benoît Jacquot) qui semble s'être
donné pour mission de faire revivre une tradition très populaire de
l'opéra, celle des monstres sacrés baptisés Del Monaco, Gigli ou Callas?
N'est-ce pas dans la Bohème, en 1992 à Covent Garden, que se sont
rencontrés le joli cour et sa princesse?

Avec Daniel Oren dans la fosse, la soirée ne débute pas sous les
meilleurs auspices. Tempis endiablés, direction serrée et superficielle,
Alagna, qu'on imagine méga-stressé, n'avait pas besoin de ça. L'aigu est
un peu tendu, le vibrato pas parfaitement juste dans le Che gelida mia;
mais la façon dont il recentre la voix, détend l'émission et projette
ensuite un ut quasi rayonnant donne déjà le frisson. A ses côtés, le
Colline colossal d'Erwin Schrott et l'élégance des deux barytons,
Ludovic Tézier en Marcello et Stéphane Degout (l'irrésistible Papageno
du Festival d'Aix) en Schaunard, contribuent au charme grandissant.

Quand la Mimi d'Angela Gheorgiu fait son entrée, on peut, une fois
encore, déplorer le manque d'imagination du metteur en scène Jonathan
Miller, n'importe. La présence vocale est suprêmement idiomatique à qui
goûte cette touche de morbidezza sur laquelle vient mourir un legato
radieux. La pauvre remplaçante d'Ainhoa Arteta en Musette fait une
entrée assez désastreuse, mais l'enthousiasme du public la porte un peu
ensuite. Quant aux décors old school de Dante Feretti, rues pavées et
réverbères, cafés aux vitres embuées et toits d'ardoise éclairés par les
lumières chaudes de Guido Levi, ils projettent sans peine dans le Paris
typique de l'intrigue vériste. Or c'est exactement pour cela qu'on est
venus. Pour tripper comme des gosses sur la magnificence du timbre
mordoré et lumineux, l'articulation et l'éloquence exceptionnelles
d'Alagna. Pour tomber amoureux de la Mimi de Gheorghiu au souple legato
faisant frémir l'aigu du soupir et fondre le grave capiteux. Par leur
engagement vocal et dramatique, les deux rossignols ont rappelé au
public français, le bonheur naïf et vibrant de la musique de Puccini. A
quand leur Rondine à Bastille?.

La Bohème
Placido Carrerotti, Forum Opéra, November 2001
(Opéra de Paris - Opéra Bastille)
24/11/01 La Bohème de Giacomo Puccini

Direction musicale: Daniel Oren
Mise en scène: Jonathan Miller
Décors: Dante Ferretti
Costumes: Gabriella Pescucci
Lumières: Guido Levi
Chef des Churs: David Levi

Rodolfo: Roberto Alagna
Schaunard: Stéphane Degout
Benoît: Michel Trempont
Mimi: Angela Gheorghiu
Colline: Erwin Schrott
Marcello: Ludovic Tézier
Alcindoro: Christian Jean
Musetta: Elena Evseeva

Cette énième reprise de la production de La Bohême était surtout une occasion pour le public parisien d'apprécier le duo médiatique Alagna / Georghiu dans le chef-d'uvre de Puccini. Il est rare que des distributions vocalement impeccables soient également physiquement crédibles : c'est une des grandes qualités de ce spectacle très réussi sur tous les plans.

Malgré une tenue de scène dans la grande tradition sémaphorique (main droite dans la poche, bras gauche à demi levé, gueule en biais et illade assassine) et un look à la Candeloro (il réserve toutefois les patins pour les coulisses), le Rodolfo d'Alagna n'est peut-être pas tout à fait exempt d'un léger soupçon de vulgarité, mais il a la jeunesse et la fougue du personnage. Son chant est facile, la voix suffisamment puissante pour passer l'orchestre et le timbre ensoleillé. A noter que l'impression diffère quelque peu entre le parterre et le second balcon : les harmoniques graves du timbre de Roberto ont du mal à passer la rampe, ce qui rend sa voix "vivante" moins riche que sa voix enregistrée (l'acoustique peu favorable de Bastille n'en est pas la seule cause : il en est de même dans d'autres grands théâtres). Techniquement, Alagna a fait de grands progrès : diminuendo, pianissimo, tout y passe ;  mais malgré cet étalage, on a surtout l'impression d'une belle et insolente démonstration de chant:  il manque à Roberto ce je ne sais quoi de charisme, d'innocence et d'empathie qui transforme une interprétation en une véritable incarnation. En ce sens, un Pavarotti finissant reste plus émouvant à Bercy qu'un Alagna au sommet de ses moyens.

Sortie tout droit de la Famille Adams, Angela Gheorghiu est tout aussi crédible physiquement. Le timbre est magnifique, la voix est ample et fluide : c'est superbe. A noter, une tendance à chanter un peu bas et par en dessous : comme Robert, lui, chante un peu trop haut, ça nous vaut des points d'orgues un peu bizarres ! Scéniquement, elle a tendance à en faire un peu trop et à confondre Mi chiamano Mimi et La mamma morta, mais la mort est très belle et véritablement émouvante. Au bout du compte,  une beau couple qui défend très correctement sa réputation médiatique, émouvant sans être bouleversant (avec le temps peut-être).

Les partenaires sont tout aussi crédibles et vocalement sans défaut (saviez vous qu'Elena Evseeva a appris en catastrophe le rôle de Musette dans le train qui la ramenait de l'Oural, suite à la défection d'une Arteta en perdition pendant les répétitions ?). Côté comprimario, Michel Trempont est un excellent Benoît ; on taira en revanche le nom de l'interprète de Parpignol [ndlr: comme on est gentils il est tout de même au sommaire du casting, tout en haut.]

Reste la mise en scène de Jonathan Miller : c'est joli, les chanteurs bougent, il y a une direction d'acteur et je peux comprendre que la production séduise au premier abord. A la réflexion, je trouve qu'une des raisons pour lesquelles la sauce ne prend pas tout à fait, ce sont les multiples petits défauts de cette production. Tout d'abord, la transposition dans les années 30 est purement décorative et même à contre sens de l'intrigue : le 18 juin 1921, le docteur Benjamin Weill-Halle appliquait le Bacille Calmette et Guérin (mais oui, le BCG !) sur un bébé né d'une mère morte de la tuberculose ; ça n'a l'air de rien, mais, à la fin des années 30, on ne mourrait plus de cette maladie ! De même, rien à voir entre la France exsangue des années 1900 qui sortait du paiement des dommages de la guerre de 70 et qui rêvait de vengeance, et le France du Front Populaire pacifiste et qui rêvait de congés payés ! Rien à voir non plus au niveau de la situation matérielle des artistes, de la rigidité sociale qui les entourent, etc. Quel éclairage apporte donc cette transposition ? Rien.

Enfin, j'ai été irrité par le manque de naturel de nombreux détails de jeux d'acteur. Au risque d'être fastidieux, voici quelques exemples dans l'acte III : Les hommes font la queue pour passer l'octroi : les femmes aussi, mais elles ne passent pas par la grille. Un des employés de l'octroi semble être également le souteneur d'une prostituée figée sous un bec de gaz (j'imagine mal un fonctionnaire municipal dans cette situation à l'époque). Cette brave femme est dérangée dans son travail par Mimi qui lui demande d'aller lui chercher Marcello : elle s'exécute à contre cur et se plaint d'être dérangée ;  pourtant, elle ne revient pas "travailler" après sa mission et reste à lire le journal dans le café. Fâchée après Marcello, Musette se précipite vers lui, s'arrête, lui fait un bras d'honneur et repart en sens inverse: désolé, mais un bras d'honneur, ça se fait sur place! Etc, etc, etc.

En résumé, une très belle soirée à laquelle manque juste un peu de spontanéité et de radiance pour qu'elle devienne inoubliable.

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Page last updated on: September 1, 2002