Le ténor vedette chante Le Trouvère à l'Opéra Bastille
L'un des événements de la nouvelle production du Trouvère de Verdi que propose l'Opéra Bastille, dans une mise en scène de Francesca Zambello, est la présence de Roberto Alagna dans le rôle de Manrico qu'il avait abordé à Monaco, il y a deux ans, avant de l'enregistrer pour EMI. L'occasion de faire le point avec le ténor vedette sur l'état actuel de son évolution vocale, toujours un sujet de discussion passionnée pour les lyricophiles. Propos recueillis par Christian Merlin
LE FIGARO. - Vous sentez-vous prêt pour ce Trouvère?
Roberto ALAGNA. - Cela fait longtemps que je le suis! A vrai dire, je suis prêt dès la première répétition, c'est pourquoi je trouve souvent que le temps de répétition est trop long. Cela fait plus d'un mois que nous travaillons à ce Trouvère et je pense que c'est un peu trop. A répéter trop longtemps, on risque de perdre énergie et influx nerveux: nous sommes comme des sportifs, or, si vous courez trente fois le 100 mètres avant la course proprement dite, vous risquez d'arriver fatigué le jour J. Il est vrai que je travaille très vite et que je n'ai pas besoin que l'on m'explique longtemps la mise en scène.
Etes-vous hostile à la direction d'acteur?
Non, car je suis malléable, mais j'ai surtout besoin que l'on me fasse confiance. Francesca Zambello, qui met en scène le Trouvère, me connaît bien: elle n'a qu'à m'indiquer les déplacements, c'est largement suffisant. Pour le reste, j'adopte ma propre gestuelle. Si l'on essaie de m'imposer des attitudes en scène, je refuse, car c'est artificiel. Sauf quand il s'agit d'un metteur en scène suffisamment acteur pour me montrer ce qu'il veut: c'est le cas avec Gilbert Deflo, ou avec mes frères qui, en outre, sont sculpteurs et donc soucieux de la plastique en scène. J'aime aussi travailler avec Franco Zeffirelli ou Nicolas Joel car ils me laissent faire ce que je veux: ils se contentent de me parler du personnage et n'ont pas besoin de me montrer quoi que ce soit.
Où en êtes-vous de votre évolution vocale?
Je n'ai pas toujours été bien compris: on a cru que j'étais contre la spécialisation, alors que je suis contre l'étiquetage. Après avoir commencé par les variétés et la pop, j'ai appris à canaliser ma voix pour chanter les rôles lyriques avec légèreté et élégance. Puis, j'ai réussi à étoffer ma voix suffisamment pour aborder des rôles plus lourds, plus dramatiques. Mais je crois être maintenant en mesure de faire le chemin inverse, c'est-à-dire de chanter les rôles dramatiques avec une voix lyrique. C'est exactement ce que je fais avec Manrico dans le Trouvère: il est possible de continuer à alléger le son même quand on pratique des rôles lourds. Je l'ai constaté en reprenant récemment Rodolphe dans la Bohème au pied levé, pour remplacer mon collègue Marcelo Alvarez à l'Opéra Bastille: j'étais heureux de constater que j'avais gardé une fraîcheur vocale intacte.
N'est-ce pas plus difficile de chanter avec légèreté?
C'est une question de technique. Je maîtrise mieux mon instrument aujourd'hui: j'arrive à élargir le son tout en le maintenant haut placé. Il ne faut surtout pas confondre tonicité et passage en force: j'essaie de chanter avec générosité, mais sans forcer. Si j'admire tellement Nicolaï Gedda, c'est pour son contrôle, sa facilité, sa clarté: on le sent comme un bolide qui en garde encore sous la pédale. Cela dit, il est évident qu'il devient difficile de cultiver la légèreté car les salles sont de plus en plus grandes, les fosses de plus en plus larges et les instruments de plus en plus sonores. En outre, il faut bien avouer qu'il y a de moins en moins de chefs d'orchestre qui aiment vraiment l'opéra et les chanteurs: ils préfèrent leur masse sonore!
Après être passé de Roméo et Rodolphe au Trouvère, avez-vous encore une marge de progression en matière de répertoire?
Pourquoi le cacher, je sais que je chanterai un jour Otello. Dès l'âge de 17 ans, je le chantais chaque jour pour mon professeur qui avait une passion pour cet opéra de Verdi et me disait que le rôle était pour moi. Il a toujours été réservé aux voix sombres, héroïques, presque barytonales, or je suis convaincu qu'on peut le chanter avec une certaine légèreté: c'est un poète, un romantique, et surtout un homme jeune, ce qu'on oublie toujours. On dirait parfois le père de Desdémone! D'ailleurs, mon Otello préféré est celui de Beniamino Gigli, qui le chantait non pas comme un stentor mais comme un styliste.
La notion de style est-elle importante pour vous?
Le style n'existe pas car il évolue constamment. C'est comme la mode: vous êtes habillé ainsi aujourd'hui; il y a trente ans vous seriez paru ridicule. Quand je chante le vérisme, comme dans mon dernier récital pour EMI, c'est à ma manière. De même, on me félicite souvent pour ma diction française: c'est vrai que j'ai relancé un amour du texte qui s'était perdu, et même des collègues barytons comme Ludovic Tézier m'ont dit s'être inspirés de ma manière de prononcer le français. Or ma diction n'a rien à voir avec celle d'autrefois: elle est plus naturelle, moins affectée, plus virile peut-être.
Opéra Bastille: les 23, 29 octobre, 1e, 5, 8, 12, 15 novembre à 19h30; 26 octobre, à 14h30 (08.92.89.90.90).
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