ENTRETIEN AVEC ROBERTO ALAGNA Radio France, 8 December 2000 |
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Propos recueillis aux Studios de Cologne le 8 décembre 2000 par Jean-Michel Brèque. Vous intéressez-vous au cinéma ? Allez-vous voir des films en salle, quand vous en avez le loisir? C'est une grande passion pour moi, le cinéma. Non seulement j'ai grand plaisir à me rendre dans les salles obscures, mais j'ai fait faire une salle de cinéma chez moi. Avec une prédilection pour telle ou telle catégorie de films? J'aime beaucoup les vieux films, français, italiens. Mais aussi les modernes. Je suis très bon public. Tourner des films-opéras, est-ce une initiative qu'il convient d'encourager? Bien sûr. J'ai toujours adoré les films-opéras, pas seulement les "récents" (Losey, Zeffirelli, Rosi), mais les vieux films italiens, avec Sophia Loren ou Gina Lollobrigida doublées par les grandes cantatrices de l'époque. J'ai une grande collection de ces films... et je trouve qu'il était temps d'en faire un autre ! Tosca est ma première expérience de film-opéra. C'est un nouveau monde, et je suis ravi de faire ce tournage avec Benoit Jacquot. Dans quelle mesure un chanteur peut-il être aussi un acteur? Je ne sais pas si on est vraiment des acteurs. On essaie, on est des semblants d'acteurs. On fait tout notre possible pour être crédibles. Au théâtre, c'est très différent, on exagère les mimiques, la gestuelle, il y a les traditions, les effets vocaux, la distance avec le public. Ici, c'est très proche, c'est très difficile à tourner parce que dès que le personnage a perdu sa concentration, tout d'un coup le personnage n'existe plus. Il faut tout intérioriser, tout concentrer. Sur une scène, il y a un échange avec le public. Pas ici. Est-ce là un problème difficile à résoudre? C'est une autre vision. Si vous avez une note tenue à l'opéra, cela va marcher parce que le public attend cette note et le frisson qu'elle va lui procurer. Si vous faites cela à l'écran, ça ne marche pas parce que l'on ne peut pas voir quelqu'un pendant dix secondes la bouche ouverte. Il faut trouver une autre façon de procéder. Et les solutions de Benoit Jacquot me paraissent tout à fait pertinentes. L'opéra Tosca s'impose-t-il plus qu'un autre comme un film-opéra, puisque chacun sait que tous les films-opéras ne sont pas filmables? Si ça ne tenait qu'à moi, je filmerais tout. Mais il est vrai que je suis un passionné, mon approche du film-opéra n'est pas forcément celle d'un autre. Et quel est l'état d'esprit d'un chanteur quand il reprend un rôle, celui de Mario, où se sont illustrés le grand Caruso, Franco Corelli, Placido Domingo ou Luciano Pavarotti? Vous savez, je chante depuis plus de quinze ans et, chaque fois que je reprends un rôle, il y a toujours des fantômes. Je crois qu'il faut s'inspirer de tout le monde, mais n'imiter personne, être soi-même, être sincère avec soi-même... et généreux. Avez-vous une tendresse particulière pour le rôle de Mario, que vous avez déjà joué? Bien sûr. C'est un rôle légendaire qui comporte des airs sublimes. Et je trouve que le personnage est un vrai héros, le contraire de Scarpia. Ce dernier est diabolique, Mario est un ange. Il a en même temps un côté artiste, peintre, poète. C'est un révolutionnaire, il croit vraiment à la liberté. Justement, j'allais vous le demander : êtes-vous sensible à la dimension politique de l'opéra? Je suis bien sûr sensible au combat de Mario. Mais quelque part, c'est une démarche d'artiste. Un artiste, ça ne fait pas de politique. C'est un révolutionnaire, mais parce que poussé par sa pulsion artistique. De toutes manières, un authentique artiste ne peut être qu'un partisan de la liberté. Absolument. Dans son air du troisième acte "Lucevan le stelle", il n'y a plus que la nostalgie de la vie et de l'amour, rien quant à l'échec sur le plan de la liberté. Vous paraît-il plausible qu'un homme sur le point d'être fusillé se concentre exclusivement sur une image amoureuse ? Ce n'est pas seulement une image amoureuse, il dit une phrase sublime à la fin de cet air : "Et pourtant je n'ai jamais aimé autant la vie." Ce n'est pas simplement l'amour. C'est la vie en général et l'amour en fait partie. Il n'y a rien de plus beau, et c'est le seul moment où Puccini a écrit que Mario éclate en sanglots. C'est un moment où il est totalement lui-même, il se met à nu, il se donne entièrement. Y a-t-il chez vous un plaisir particulier à chanter Puccini : des phrases très amples, pain béni pour un ténor... Un très grand plaisir, oui, bien qu'il soit très difficile de chanter Puccini. Mais tout est difficile. Si je pouvais tout chanter, je chanterais tout, parce qu'une voix, c'est le plus beau cadeau qu'on puisse recevoir, on peut et on doit le partager avec les autres - et c'est pourquoi j'aime bien aussi chanter de la variété, changer de répertoire, pour pouvoir toucher le plus grand public, et il faut donc toucher à toutes les musiques. Avez-vous l'intention d'étendre votre répertoire à l'opéra germanique? Peut-être, mais le problème est que je suis habitué à chanter une musique que je comprends parfaitement. J'aime beaucoup faire chanter les mots, pas seulement la musique. Il m'est très difficile de chanter une uvre si je ne comprends pas parfaitement le sens des mots : je peux chanter en espagnol, en roumain, en anglais, en italien, en français, mais je maîtrise encore mal l'allemand. Dans l'esprit du public, vous et Angela êtes un couple mythique parce que vous êtes jeunes, beaux, talentueux, célèbres. Votre couple constitue un exemple parfait de réussite affective et professionnelle. Ne contribuez-vous pas à créer un tel sentiment en jouant très souvent en couple dans maints opéras (Roméo et Juliette, Manon, Werther...)? À l'opéra, ce ne sont pas les chanteurs qui décident d'une distribution. Ce sont les directeurs de théâtre. Et un directeur qui veut une réussite à peu près sûre essaie de réunir la meilleure distribution possible. Aujourd'hui, si on veut monter ces ouvrages, on n'a pas beaucoup le choix ! Angela et moi ne faisons rien pour ça. Cette année, j'ai beaucoup chanté avec elle. Ce sera différent l'année prochaine. Pour nous, c'est un plaisir de nous retrouver parce qu'il y a une vraie complicité, une envie de bien faire, on essaie de se dépasser tout le temps parce qu'on veut plaire à l'autre, rendre la voix de l'autre encore plus belle. Et je crois que le public le sent. Ici, Benoit m'a dit: "Je n'ai jamais vu ça, tous les techniciens, pendant vos duos, viennent regarder l'écran de contrôle. Ils sont tous pris." Cela veut dire que peut-être il se passe vraiment quelque chose. Je ne sais pas. Mais ça fonctionne ! Quand vous êtes loin des studios, ou de la scène, Angela est-elle pour vous seulement Angela ou aussi Juliette, Manon, Charlotte? Je vais vous dire. Dans tous les couples, il y a de petits accrochages. Eh bien, je peux vous assurer que si on part de la maison un petit peu brouillés, dès qu'on met les pieds sur scène, tout d'un coup, tout s'efface. Pourquoi ? Parce qu'on retombe amoureux à chaque fois. Il se passe quelque chose de magique. Pour moi, c'est une chance énorme de pouvoir conquérir ma femme à chaque fois dans un nouveau personnage, à une autre époque, dans un autre costume. Chaque fois je la redécouvre. Et c'est pourquoi il n'y a pas chez nous de sentiment de saturation, de routine. C'est impossible. Et je vous assure que cela alimente le côté amoureux! Bref, vous confirmez la phrase célèbre d'Oscar Wilde disant que la vie imite l'art et non l'inverse? Tout à fait. Vous venez, je crois, d'enregistrer un disque de chants de Noël? C'est un peu mon cadeau à Angela, à ma fille, à ma famille, à mes amis. Vous savez, je suis quelqu'un de très traditionnel. J'adore la tradition de Noël, le Père Noël, le sapin de Noël, le bonhomme de neige. Je suis resté un petit peu enfant. Je crois encore au Père Noël, parce que tout ce qui m'arrive est fantastique : je le remercie et c'est lui qui m'envoie ces cadeaux-là ! J'ai voulu un peu revenir aux sources puisque j'ai commencé avec de la variété. C'est un disque que je mettrai en famille le soir du réveillon bien que, d'habitude, je n'écoute pas mes disques! |
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