Roberto Alagna, l'un des ténors les plus demandés
Radio Liban, 17 July 2002
Il y a les choses que l'on sait. Qu'il est Français. Qu'il a vécu en Seine-Saint-Denis. Qu'il est devenu en quelques années l'un des ténors les plus demandés. Exigés même. Ses partenaires sont parmi les plus célèbres, les chefs d'orchestre qui le dirigent parmi les plus prestigieux. Avec son épouse elle est soprano , ils sont le couple star du lyrique. Roberto Alagna et Angela Gheorghiu déchaînent les passions. Et chacune de leurs apparitions, sur scène, sur disque ou au cinéma, est un événement. Le 3 août prochain, à Baalbeck, en plein air, ils remettront le couvert. Pour un spectacle qui s'annonce, déjà, exceptionnel.
Il y a les choses que l'on sait moins. Qu'il vient d'une famille sicilienne. " Et dans toutes les familles siciliennes, tout le monde est musicien. Artiste dans l'âme. " Roberto Alagna donne le la. Quand il parle, sa voix est encore plus impressionnante que lorsqu'il chante. Roberto Alagna est un homme sous influence(s), et il le revendique. Tellement sous influence(s), comme tout le clan des Siciliens, qu'il a été « façonné » sous le signe des arts. Né avec les poètes, les acteurs, les comiques. Comme dans un grand cabaret. « Tous les dimanches, avec la famille, on improvisait des spectacles. On n'avait pas la télévision. Ça a été ma première école. » Très vite, il a appris la guitare pour accompagner son père. « J'étais trop timide pour chanter moi-même. » Les temps changent, heureusement. Sa guitare au soleil de Sicile est devenue sa cuirasse, son armure, il s'est lancé. Il a chanté dans des cabarets. À Paris. « À l'époque, il n'y avait pas les karaokés. On chantait. Comme ça. » Et comme du côté de maman Alagna, tout le monde chantait de l'opéra (alors que du côté du père, c'était les variétés), l'amour du fils pour le lyrique a grossi, lentement, sûrement.
Et s'il a choisi le chant plutôt que la musique, c'est tout simplement, avoue-t-il doucement, qu'il était « meilleur dans le chant ». Meilleur que tout le reste. Sauf que ça ne l'empêche pas de jouer, encore, de la guitare. De composer. De peindre, de sculpter. Comme ses frères. La famille Alagna, c'est la famille touche-à-tout. Et dans la famille Alagna, il y a « l'amoureux des voix humaines » : Roberto. Tombé en amour du Grand Caruso, Mario Lanza était son héros, pour d'autres c'était Zorro. Ou Spiderman.
Quand il était apprenti-chanteur, c'était plus difficile. Que d'être immense ténor. Sa journée-type ? Étudier l'opéra avec un vieux professeur cubain, l'après-midi. Il ne payait pas ses cours, il passait entre les élèves. Il donnait des leçons aussi. Le soir, il rentrait à la maison, il dormait une heure, jusqu'à 21 heures. Ensuite, à lui Paris. Trois cabarets l'attendaient, Roberto Alagna chantait. De 23h30 à 6h00 du matin. Tout cela pendant huit ans. Et sa faculté d'improviser, sa résistance vocale, c'est de là qu'il les a tirées. Ensuite, il a décidé. Ce sera l'opéra. Rien que l'opéra. «Je m'y suis jeté corps et âme, et depuis je n'ai plus jamais arrêté». Alors il est devenu ténor. Sportif au plein sens du mot. Et sa journée-type a changé, du tout au tout, ou presque.
Il y a des choses que l'on ne sait pas du tout. Ou que l'on a peut-être pressenties. Que Roberto Alagna a eu le don. « Un don que l'on reçoit au départ. Une faculté de chanter. Comme les petits oiseaux, on a ça dans le sang. Ensuite, il faut développer. Être conscient de cet instrument, très délicat et très solide à la fois, soumis à des tas de tensions ». Sa voix. Roberto Alagna la choie, la chouchoute, la protège. Avec en toile de fond, de la di-sci-pli-ne. Ne pas boire, ne pas fumer, « ou du moins, ne pas abuser ».
Et avec sa femme ? Ils vocalisent ensemble ? « Pas du tout. Déjà ça ferait trop de bruit. En général, on aime bien travailler séparément. » Avant de chanter, Roberto Alagna est en costume, il se balade sur scène, il renifle la scène, il s'en imprègne. Difficile lorsqu'on est un couple qui fait le même métier... « Les responsabilités sont doubles. La pression aussi. Mais dans un couple comme le nôtre, la routine ne s'installe jamais. Ma femme, je la redécouvre dans des rôles différents, des époques différentes, je retombe amoureux à chaque fois. D'elle. » Et nul doute que s'ils n'avaient pas été au même niveau, tout cela aurait été bien plus compliqué.
Séducteur, Roberto Alagna l'est sûrement. Sa définition de la séduction est simple : « Être naturel, être soi. Le plus possible. Et si on arrive à plaire en étant soi-même, alors c'est gagné. Je n'aime pas beaucoup lorsque l'on joue la comédie sur scène, et dans la vie. J'en suis incapable. » Et les critiques ? « J'y suis très sensible, oui. Et j'ai décidé de ne plus les lire. Si parfois elles sont justes, constructives, si parfois elles aident, souvent elles sont gratuites, dénaturées, iniques. Sauf qu'aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il y a un renversement, que l'on me redécouvre. »
Roméo & Juliette à Orange, puis des morceaux d'opéra à Baalbeck, au temple de Jupiter. « Je suis content de revenir au Liban. Je dis bien revenir, parce que lorsque j'étais militaire, en 1983, j'étais venu livrer des chars au Liban. Je ne pouvais pas sortir à l'époque. Je n'avais rien vu, j'étais déçu. Là, je suis ravi. j'ai lu des tas de choses sur le Liban, j'ai beaucoup d'amis Libanais à Paris, ça m'a toujours attiré. » D'autant plus que c'est la première fois qu'il vient chanter au Proche-Orient. « J'ai l'impression d'aller un peu à l'aventure. »
Roberto Alagna n'est pas un artiste engagé. Et n'a jamais voté de sa vie. Mais au lendemain du 21 avril, il est venu de Londres, où il répétait, au Trocadéro pour chanter, a capella, la Marseillaise. Contre le Front national. « J'ai voulu défendre cet air magnifique, ce monument. C'était mon devoir. De dire que cet hymne appartient aux Français. » Ultra-émouvant. Tout cela, et bien plus encore, a fait l'objet d'une interview accordée par Roberto Alagna à Radio-Liban, au micro de Soraya de Freige. Une interview qui sera rediffusée aujourd'hui mercredi sur 96.2, entre 11 heures et midi.
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