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La jeune garde des ténors bouscule les stéréotypes
Marie-Aude Roux & Renaud Machart, Le Monde, 27 June 2002

A l'image de Roberto Alagna, Salvatore Licitra et Marcelo Alvarez, la
nouvelle génération de chanteurs de contre-ut a pour signes particuliers
un réveil tardif, des débuts fulgurants, un souci d'approfondir ses
rôles et un grand respect de la partition.

Comment reconnaît-on un ténor ? Module pot à tabac ou cigare torpedo ?
Hurleur qui, à l'image d'une des nombreuses blagues à son sujet, lit le
télégramme annonçant la mort de sa mère en vocalisant le texte ? Non, le
ténor moderne est en général plutôt beau gosse, fait attention à son
poids, à son look

Ainsi, à des degrés divers, l'Argentin José Cura, le Français Roberto
Alagna, l'Italien Salvatore Licitra (ces deux derniers d'origine
sicilienne) ou le Péruvien Juan Diego Florez et l'Argentin Marcelo
Alvarez.

Deuxième caractéristique : le ténor se découvre sur le tard. C'est le
cas des trois "nouveaux" ténors rencontrés cette saison et qui font
l'actualité de ce début d'été : Salvatore Licitra, le remplaçant
plébiscité de Luciano Pavarotti au Met, il y a quelques semaines,
Marcelo Alvarez, qui chante Edgard dans la Lucie de Lammermoor de
Donizetti au Châtelet, et Roberto Alagna qui prend pour la première fois
à Paris le rôle de Don José de la Carmen de Bizet.

Le ténor, donc, s'ignore généralement. Il découvre sa voix sous la
douche, au café après le travail ou dans les vestiaires de son club de
foot. Parfois sur la plage. "J'avais 18 ans, dit Salvatore Licitra,
j'étais en vacances en Sicile et j'ai entendu à la radio une chanson sur
la Perestroïka. Je me suis mis à l'imiter et ma mère m'a dit : tu as le
choix, soit tu vas voir un psy, soit tu prends des cours de chant." Le
jeune Roberto Alagna chante quant à lui dans des pizzerias, en imitant
les disques de Gigli et de Kraus, refuse les professeurs de chant. Ce
que lui confirme la rencontre avec Gabriel Dussurget, fondateur du
Festival d'Aix- en-Provence : "Apprenez la théorie musicale, apprenez
les rôles avec un chef de chant, mais ne prenez jamais un cours."

Le ténor fait généralement des débuts fulgurants, parfois tardifs. Ce
n'est qu'à la trentaine que Marcelo Alvarez accepte de prendre
sérieusement en compte ses moyens vocaux. "Je travaillais dans une
fabrique de meubles et j'adorais chanter. Mes collègues m'ont persuadé
de passer une audition. On m'a demandé O Sole Mio, que je ne connaissais
pas davantage que le moindre air d'opéra. C'est donc l'hymne national
argentin qui m'a lancé ! A trente ans, j'ai changé totalement de vie."

DES CHANTEURS BOULIMIQUES

Quatre ans après, Alvarez débute à l'Opéra de Gênes en remplaçant au
pied levé un collègue malade. Alagna remporte en 1988 le Concours
Luciano Pavarotti à Philadelphie et devient la star qu'on sait, tandis
que Licitra fait ses débuts en 2000 sous la direction de Riccardo Muti
dans Il Trovatore.

La rareté de la voix de ténor, son extrême fragilité, sa brève longévité
(encore que des contre-exemples fleurissent : Alfredo Kraus, mort en
1999, Luciano Pavarotti, ou Placido Domingo toujours en activité), le
rendent vulnérable. Aussi le ténor se fait-il souvent boulimique. A 39
ans, Roberto Alagna ne cache pas son sentiment d'urgence. "Quand on est
ténor, on n'est jamais tranquille. Il faut ménager sa voix et sa
fatigue. Si je m'écoutais je n'irais jamais me coucher, mais la voix
s'en ressent tout de suite. Il faut enregistrer, et vite. Callas a fait
tous ses disques trop tard."

Pourtant, Alagna, sait et regrette que sa voix, à la différence de celle
d'Angela Gheorghiu, son épouse, ne soit pas "sonogénique". "Je n'aime
pas la couleur de ma voix sur une bande. J'ai la voix trop large pour un
micro et suis obligé de chanter concentré sur un point. C'est pour moi
un constant sujet de préoccupation et d'insatisfaction."Le contraire de
Marcelo Alvarez, qui, lui, ne semble gêné ni par le disque ni par le
temps : "J'ai mis longtemps avant de devenir chanteur, et je n'ai pas
envie de disparaître comme cela en prenant trop de risques. Je sais ce
que je veux chanter, et je veux le faire prudemment à la manière d'un
Alfredo Kraus. Tant pis si je n'ai pas d'intégrales au disque, car il y
a de plus en plus de DVD pris sur le vif."

Dramaturgiquement parlant, le ténor souffre souvent d'un sentiment
d'infériorité dû à la pauvreté psychologique des rôles qu'il incarne.
"C'est généralement lui le plus stupide de l'opéra", s'esclaffe
Salvatore Licitra. "Il faut alors tenter d'épaissir son personnage en
lui donnant un envers de profondeur, déniaiser Caravadossi dans Tosca."
Un avis que partage Roberto Alagna à propos de Carmen. "Don José n'est
ni un niais, ni un enfant de chour. Il y a en lui un côté suicidaire,
une stature à la Pierrot le fou qui se sert de Carmen comme d'une bombe
à retardement." Mais la vraie compensation narcissique du ténor à
l'opéra reste le contre-ut lancé à pleine voix, ou, plus fin, suspendu
dans l'angélisme d'un pianissimo absolu. En interdire l'usage relève de
l'acte de cruauté.

REVENIR AU TEXTE ORIGINAL

C'est pourtant ce que Riccardo Muti a exigé de Salvatore Licitra le 10
décembre 2000 pour l'ouverture de la Scala en privant son Trouvère du
contre-ut final dans le Di quella pira de Manrico par souci et respect
de la partition (la note n'a pas été écrite par Verdi). Un souci dans
l'air du temps. Marcelo Alvarez est persuadé qu'il faut réhabituer le
public à ce qu'est un texte original : "Je me souviens d'une exécution
deLinda Di Chamounix de Donizetti à Londres avec l'orchestration
originale et un diapason à 430, c'est à dire beaucoup plus bas que le
445 qui est aujourd'hui pratiqué. Un vrai bonheur !"

Roberto Alagna fera-t-il piano la fin de l'air de Don José, "La fleur
que tu m'avais jetée", comme noté dans la partition ? "Il y a quelques
années, on m'a reproché de faire le si bémol (...) en voix de falsetto.
Je l'ai donc chanté en voix mixte. J'aurais pu aussi bien chanter la
note forte avec un crescendo, comme le font presque tous les ténors.
Mais Bizet a noté dolcissimo, et lorsque Don José dit à Carmen qu'il est
"sa chose", moi, dans ce cas- là, je pense aux castrats, et je chante en
voix mixte", déclare-t-il en 1996 (Le Monde du 24 avril 1996).

Capable de chanter une Traviata à Orange avec "une intimité presque
mozartienne", Marcelo Alvarez pense qu'"il faut réapprendre au public ce
qu'est une voix mixte, ce que sont les couleurs spécifiques de l'opéra
français et italien". Pour Roberto Alagna, c'est carrément le style qui
créé l'organe : "A part quelques rôles de ténor aigu, les notes sont les
mêmes ! Ce qui change, c'est la couleur, les intentions, le style. (...)
Les grands ténors historiques chantaient tout, de Paillasse à L'Elixir
d'amour en passant par Don José." N'en déplaise à l'honorable vieille
garde, la garde montante n'est pas mal non plus.

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This page was last updated on: June 29, 2002